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La pensée halakhique a-t-elle développé la notion de « guerre interdite » ?
Par Dan Jaffé, Aviezer Ravitzky | 01 juin 2004
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La pensée halakhique a-t-elle développé la notion de « guerre interdite » ?
Par Dan Jaffé, Aviezer Ravitzky | 01 juin 2004
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La tradition juive a discerné deux genres de guerre : une guerre obligatoire (milhemet mitsva) et une guerre facultative (milhemet reshout). Le premier genre – guerre obligatoire – comprend les guerres bibliques contre les sept peuples résidant sur la terre d’Israël, la guerre contre Amaleq et toutes les guerres de défense du peuple d’Israël. C’est donc une catégorie distincte et bien définie (du moins depuis la législation de Maïmonide). En revanche, la seconde catégorie de guerre – guerre facultative – est plus large et dépend de circonstances fluctuantes et de bon sens. De plus, partir en guerre du deuxième genre dépend d’activités combinées provenant de deux pouvoirs : l’initiative de guerre émane du pouvoir politique (le roi), cependant que la guerre ne sera considérée comme légitime qu’avec son approbation officielle par le pouvoir spirituel et législatif (le Sanhédrin). Cette distinction entre guerre obligatoire et guerre facultative englobe-t-elle tout le débat ou bien laisse-t-elle place à une troisième catégorie – une guerre illégitime – qui ne ferait partie ni du domaine de l’obligation ni du domaine du facultatif, mais du domaine de l’illégitime, de la transgression et du péché ? On peut aussi formuler autrement la question : « À quels critères se référera la Haute Cour suprême Rabbinique (Sanhédrin) quand elle sera appelée à approuver ou à interdire le départ pour une guerre facultative ? S’agira-t-il de critères tactiques et stratégiques, d’ordre moral voire d’ordre théologique ? Serait-il possible d’interdire a priori une guerre à cause de l’immunité des agressés, de la perte en vies humaines (d’un côté comme de l’autre) ou à cause d’objectifs illégitimes, etc. ?
Dans un intéressant article qu’a écrit dernièrement le professeur Michael Walzer – l’éminent théoricien, spécialiste des questions de morale et de justification de la guerre (auteur de l’ouvrage Guerre justes et injustes [1] ) – il est avancé que la tradition juive ne connaît que deux catégories de guerre, « cependant, il manque la troisième catégorie, la guerre illégitime ou interdite ». Certes, écrit Walzer, ce concept de guerre interdite (milhama asoura) a été proposé au xviiie siècle par Samuel David Luzatto (Shadal) cependant, « il n’eut pas de nombreux successeurs dans la communauté halakhique » et l’interdiction n’a donc pas élu domicile. Walzer termine donc son article en suggérant une distinction halakhique entre les guerres permises et interdites, c’est-à-dire entre une guerre justifiée et une guerre injustifiée [2].
J’ai été invité à réagir aux propos de Walzer lors d’un colloque organisé en 1993 à Jérusalem par l’institut « Ethicon » de Californie. J’ai évoqué plusieurs conceptions de la « guerre interdite » (milhama asoura) qui furent développées au sein de la communauté halakhique. Dans le présent article, j’élargirais le domaine de mes réflexions (publiées en anglais [3]) en les réexaminant en fonction d’un nouveau point de vue. Je voudrais essentiellement montrer comment le retour juif à la force militaire d’une part, et aux horreurs de la guerre d’autre part, a pu engendrer un tournant important dans la pensée halakhique. Ce retour a réveillé des notions dormantes de la littérature médiévale et a réactualisé certaines d’entre elles concernant la « guerre interdite ». Il a aussi permis la mise en œuvres d’idées et de propos depuis longtemps délaissés en développant une troisième catégorie de guerre, à côté de la « guerre facultative » et de la « guerre obligatoire ». C’est comme si s’étaient produits une chose et son contraire : il est connu de tous que l’actuel retour juif vers l’histoire politique et militaire a remis en marche des notions réprimées telles celles de « guerres saintes », d’ennemis « amaléquiens », d’héritage et de legs [4]. En même temps, ce retour historique a rétabli aussi les notions de guerre interdite ; il a accentué la peur du combat et fait dépendre la guerre facultative de valeurs morales et de principes décrétés par la Haute Cour rabbinique de Jérusalem [5].
La littérature halakhique et la pensée religieuse ont consacré une place restreinte aux questions de guerre et de paix. Le peuple exilé de son pays et de son royaume a souvent perçu les guerres d’Israël comme sujet hypothétique – biblique ou messianique – alors que les Sages étaient amenés à traiter surtout de domaines concrets et à s’occuper de l’instruction religieuse. De plus, nombre de Sages ont sciemment relégué la guerre juive au-delà du champ de l’histoire réelle, dans une ère où se manifesteraient prophète et rédempteur, prêtre (urim ve-tumim), roi et Sanhédrin. Parallèlement, déjà dans l’Antiquité, l’interdiction théologique de l’activisme belligérant en temps d’exil avait été formulée. « Dieu a fait jurer le peuple juif de ne pas s’insurger contre les nations du monde [6] ». Au fil des générations, nombreux ont été ceux qui interdirent la conquête du pays d’Israël durant cette ère (à la différence des temps messianiques) [7].
Toutefois, là n’est pas l’objet de notre intérêt. Nous nous intéresserons plutôt aux interdictions de la guerre selon des perspectives éthiques plutôt que théologiques, non pas du fait de l’exil et de la soumission consécutive, mais au travers de considérations telles que le bien et le mal, le juste et l’injuste. Certes, cette distinction connaîtra des contradicteurs. Certains ont interprété le serment de la passivité dans l’ère de la diaspora en des termes moraux (« éloigne-toi du mal et fais le bien ») : « nous avons été forcés de quitter la politique mondiale, quoiqu’avec une certaine volonté intérieure » a écrit le Rav Kook au début du xxe siècle. Il a ajouté que Jacob (le peuple d’Israël) ne devrait pas diriger un royaume durant une période où coule le sang, au moment où règne l’aptitude au vice. Cela revient à dire que l’abandon de l’histoire politique et militaire n’a pas été perçu par le Rav Kook comme uniquement un décret et un serment, mais également comme une norme et une exigence morale, « jusqu’à ce qu’arrive une époque heureuse dans laquelle il serait possible de diriger un royaume sans vice et sans barbarie » [8]. Il semble que même le Rav Isaac Yaacov Reines, fondateur du mouvement Mizrahi, ait totalement rejeté la nette distinction entre les raisons théologiques et les raisons éthiques concernant les guerres interdites. De son point de vue, la guerre en temps d’exil reflète la contradiction même de la culture de l’épée et de la culture du livre [9]. Mais, si nous suivons cette voie, nous donnerons à notre travail une trop grande facilité. Nous traitons ici des distinctions éthiques entre les différentes guerres, interdites ou permises dans la réalité, et non pas de l’abandon idyllique des voies militaires.
Je voudrais limiter mon propos d’un point de vue supplémentaire. Je ne m’occuperai pas dans ce travail de la question morale relative au combat mais de l’idée même de partir en guerre. Je ne traiterai pas des limites qu’a imposé la halakha sur la façon de mener une guerre (jus in bello), mais de la question de la justification de la guerre elle-même (jus ad bello). De nouveau, cette approche ne fera pas l’unanimité, comme l’a montré R. Shmuel Edels (le Maharcha, xviie siècle), un des grands exégètes du Talmud : « Ils consultent le Sanhédrin : ils demandent conseil au Sanhédrin afin de savoir comment se comporter durant une guerre pour être en conformité avec la Torah [10]. » Le Maharcha a pensé que la royauté devait préalablement consulter le Sanhédrin aussi pour les règles et les conduites en guerre. De même, certains considéreront la multitude de limitations que la halakha a imposées au combat comme une démarche délibérée qui mènerait à la négation et à la prévention de la guerre elle-même [11]. Mais je me concentrerai sur la question de la guerre interdite à notre époque.
J’ouvrirai le débat sur des questions spécifiques : qui sera défini comme ennemi légitime ? Quels sont les objectifs de la guerre juste ? Où est la limite de la tuerie « légitime » (car une tuerie qui excéderait cette limite rendrait rétroactivement illégitime cette guerre) ? Cela revient à se demander si l’on peut puiser dans la littérature des perspectives halakhiques de prohibition de la guerre bien définies. Cette enquête sera sélective. Contre l’opinion selon laquelle la pensée halakhique n’a pas produit de notion de guerre interdite. Je tenterai de retrouver les traces existantes de cette conception. Après cela, j’examinerai l’exégèse plus globale des sources classiques, pour lesquelles le débat halakhique sur ces questions est grosso modo abordé en partant du principe de l’interdiction de la guerre.
D’après une conception halakhique répandue, on ne peut décréter une guerre que contre les non-juifs qui transgressent les sept lois noachides, c’est-à-dire contre l’ennemi qui ne respecte pas les préceptes religieux et éthiques minimaux, les normes universelles qui font de l’homme un homme et d’une société d’homme une société humaine (en vertu des enseignements de la religion juive). En revanche, les nations éduquées qui, a priori, ne commettent pas d’homicide, d’union illicites, d’idolâtrie, de vol, etc., seront préservées, par principe, d’une attaque des armées juives.
Maïmonide a tranché : « On ne fait pas la guerre contre un homme dans le monde avant qu’on ne l’ait d’abord appelé à la paix, que ce soit une guerre facultative ou une guerre obligatoire [12]. » En fait, selon Maïmonide, la paix implique également l’asservissement politique et social de l’ennemi [13] , en plus de son acceptation des sept lois noachides universelles. Une autre question se pose : « Quel est le statut des non-juifs qui vivent selon le code éthico-religieux souhaité (les sept lois noachides) en ne l’acceptant que par peur de la guerre ? » « Selon notre maître (Maïmonide), on ne doit pas faire la guerre à ceux qui accomplissent les sept lois noachides [14]. » C’est ainsi que l’a compris le Rav Abraham Yshayaou Karelitz (Hazon Ish), le grand maître du judaïsme orthodoxe d’Eretz d’Israël durant la précédente génération. À la lumière de ses propos on peut induire l’idée que ces notions s’appliquent à chaque nation qui vit de facto selon ce code universel et pas seulement aux étrangers résidents qui l’ont accepté officiellement de jure devant un tribunal rabbinique [15]. Il est à considérer que, selon la conception traditionnelle, l’idolâtrie va de pair avec une perversion humaine globale de l’ordre de l’éthique. Maïmonide considérait à ce propos que les musulmans n’étaient pas des idolâtres et l’évolution halakhique qui a débuté avec les Tossafistes (xiie siècle) et qui fut clôturée avec R. Menahem ha-Méïri (fin du xiiie siècle) n’a pas non plus défini les chrétiens comme tels [16]. S’il en est ainsi, contre qui une armée juive peut-elle alors décréter une guerre [17] ?
En fait, le Hazon Ish n’a pas présenté son explication de l’immunité potentielle des non-juifs face à une attaque juive comme une opinion exceptionnelle, mais comme une position halakhique qui avait été déjà acceptée par les maîtres du judaïsme médiéval (les rishonim : xie-xve siècle) [18]. Il ne l’a pas référée exclusivement à Maïmonide mais aussi au Rabad (R. Abraham ben David) et à Nahmanide. Au contraire, le Hazon Ish a enseigné que ces derniers ont même été moins stricts que Maïmonide à propos de cette idée d’immunité potentielle. Maïmonide a en effet conditionné cette immunité au fait que la nation en question vive selon ces règles. En revanche, le Rabad et Nahmanide n’imposaient pas cela. Selon leur opinion, les non-juifs qui appliqueraient les sept lois noachides de peur de la guerre (et non volontairement et par choix) devaient être aussi épargnés. Maïmonide, de surcroît, ne s’est pas contenté des sept lois noachides mais a également inclus la soumission politique alors que le Rabad et Nahmanide ont seulement exigé la conformité aux lois noachides. Ainsi, la jouissance de l’immunité s’est faite plus facile. Il est possible que le Hazon Ish ait considéré que les maîtres plus tardifs (les aharonim) ont ajouté une exigence particulière à la conception de Maïmonide en conditionnant cette immunité au fait que les ennemis [du peuple juif] acceptent les sept lois noachides officiellement, devant un tribunal rabbinique (dans les termes du Hazon Ish : « s’ils acceptent les lois de la résidence permanente [guerut toshav] [19] (!). Selon Maïmonide, il semblerait au contraire qu’il s’agisse seulement d’un comportement ordonné concrètement (dans les termes du Hazon Ish « ceux qui appliquent les sept lois noachides depuis toujours, on ne peut leur faire la guerre) [20] » (c’est nous qui soulignons – A. R.).
Le Rav Kook a écrit que dans les temps anciens, lorsque les Sages du Sanhédrin s’interrogeaient pour savoir s’ils permettraient au roi de partir en guerre facultative, le facteur essentiel qui emportait la décision était l’état de perversion et le danger moral qui se dégageaient de l’ennemi potentiel. Selon ses dires :
Il était demandé au Tribunal Rabbinique d’inspecter l’état moral de ces idolâtres (contre lesquels le roi a souhaité partir en guerre) sachant que tous les cultes idolâtres ne sont pas identiques. Malheureusement, nous n’avons pas eu connaissance des détails de ces faits très peu pratiqués depuis que nous avons perdu notre puissance nationale[21].
Cela revient à dire que, selon la première délimitation (celle du Hazon Ish), une guerre offensive décrétée contre une nation qui applique les sept lois noachides est une guerre interdite. Selon la deuxième délimitation (celle du Rav Kook), une guerre offensive contre une nation païenne qui n’évolue pas dans l’immoralité la plus profonde, si elle n’est pas interdite a priori, le sera par le Sanhédrin quand le roi sollicitera son recours.
Nous avons là un premier débat sur la question de la guerre interdite. Il est cependant évident qu’il ne faut pas confondre les données de cette discussion sur des points religieux et la discussion libérale moderne. La guerre juste n’est pas seulement limitée par la lutte pour des droits (droit à la vie, liberté, etc.) mais aussi par la lutte pour le bien (dans le contexte de la croyance monothéiste). Dans cet esprit, l’immunité par rapport à la guerre est conditionnée par la situation religieuse et morale de l’homme et non par sa condition d’être humain. Ce n’est pas seulement l’homme qui est jugé selon son éthique mais également un groupe ou une nation. Devant nous donc s’ouvre un autre débat – qui découle d’autres hypopthèses – et concerne la notion même de guerre interdite.
Il est inutile de préciser que la halakha permet et ordonne de partir en guerre défensive pour « aider Israël quand un ennemi se présente » [22]. Une telle guerre ne doit pas obtenir l’agrément du Sanhédrin et chacun doit s’y précipiter « même le marié qui est dans sa chambre et la mariée qui est sous le dais nuptial ». Qu’en est-il cependant de la guerre pour la conquête de la terre d’Israël de nos jours ? Et de la guerre d’expansion qui vise à « accroître la grandeur et la renommée » du roi d’Israël ? Est-ce que même dans ces cas les Sages de la halakha ont quelque peu développé des normes de guerre interdite ?
En premier lieu, pour ce qui est du commandement de la conquête de la Terre d’Israël, Nahmanide est celui qui, en son temps, l’a défini comme une obligation religieuse de la Torah, incombant à toutes les générations [23]. Quelle est la teneur de cette obligation de « conquête » ? Les opinions divergent. Certains, comme le Rav Zvi Yeouda Kook et ses élèves, prétendent qu’il s’agit d’une conquête militaire classique [24]. D’autres cependant ont réfuté cette approche et soutenu que le langage halakhique considère depuis toujours la notion de « conquête » sans moyens militaires mais par l’installation et l’appropriation de la terre. C’est ainsi que les Sages tardifs (aharonim) ont compris Nahmanide, à savoir : « non pas le commandement de conquête de la terre par la guerre mais plutôt à l’aide d’implantations et d’établissement sur la terre ». Selon les dires du Rav Saül Israéli, grande autorité rabbinique dans le milieu sioniste religieux, la conquête de la terre d’Israël au moyen d’une guerre « ne s’est faite qu’une seule fois, lors de la conquête de l’époque de Josué pour laquelle il y avait une obligation émanant de la bouche du maître des prophètes » [25]. Depuis lors et jusqu’à maintenant ce commandement ne s’applique plus et n’est plus une obligation. C’est comme si l’on disait : « l’histoire biblique de la conquête ne sert pas d’exemple historique pour les générations mais représente un exemple particulier et unique, au-delà du cadre historique ». Une question se pose : Si nous ne sommes pas obligés de conquérir la terre par la guerre, est-il néanmoins permis de le faire par la guerre ? Le Rav Nahum Rabinovitz, directeur de la yeshiva de Ma’alé Adumim, est par excellence le représentant de la position visant à l’interdire. Selon son opinion, on ne peut conquérir la terre d’Israël « qu’à l’aide de moyens permis ; la guerre ne nous étant pas permise (c’est nous qui soulignons – A. R.), si nous ne sommes ni menacés ni attaqués par l’ennemi » (c’est-à-dire dans le cas d’une guerre préventive ou d’une guerre défensive). Au contraire, Rabinovitz a appris de Nahmanide, que même la guerre de conquête de la terre d’Israël par Josué présentait une défaillance, qu’elle était une obligation ponctuelle que le peuple juif devait accomplir comme châtiment de la faute des explorateurs. Ainsi, il n’est pas possible de trouver dans les écrits de Nahmanide « un texte qui permette une guerre de conquête de la terre. Le plus grave, c’est qu’un tel commentaire impliquerait une sorte de mépris pour l’interdit de tuer. Ce mépris remet en question les fondements de la société et met en danger toute l’entreprise “début de la rédemption” » [26]. Il semble qu’ici l’interdit de tuer est en jeu pour les deux côtés. Sur ces questions aussi, il n’y a pas bien entendu d’unanimité [27]. De ce fait, et du fait de la clarification exigeante des sources qui sont produites, ils dévoilent devant nous un aspect supplémentaire de la guerre interdite dans le judaïsme. Sous cet aspect, le commandement biblique de la guerre est le fruit du péché. En son temps, le Rav Kook avait considéré que la guerre biblique de conquête de la terre [d’Israël] dépendait du péché (Veau d’or), car sans celui-ci « les nations auraient résidé en terre d’Israël en complétant le peuple juif, sans aucune idée de belligérance, dans des relations de paix telles que celles des temps messianiques… Seul le péché a entraîné un retard de milliers d’années » [28]. Le Ralbag a dit au xive siècle que, durant les temps messianiques, le peuple juif s’installera sur la terre d’Israël « sans que ne survienne aucune guerre » [29].
Qu’en est-il des guerres facultatives des rois d’Israël ? Maïmonide n’aurait-il pas permis, comme le dit Walzer, la guerre offensive d’expansion à l’initiative du roi (sur les conseils du Sanhédrin), une guerre dont les objectifs sont politiques « afin d’accroître sa grandeur et sa renommée » ? Ce n’est pas évident, diront les autres [30]. Comme l’a écrit le Rav Hirshenzon, lorsqu’il a soutenu la mise sur pieds des régiments hébraïques (1915-1917) lors de la Première Guerre mondiale :
Du fait que dans une guerre injuste, il y a interdit de pillage, d’homicide, de vol et de suicide, on parle de « facultatif » plutôt que « d’interdiction »… à cause de cette crainte, on a enseigné : « on part en guerre facultative seulement s’il y a accord du Tribunal Rabbinique de soixante et onze membres » (Sanhédrin 20a) c’est-à-dire qu’il faut une permission émanant du Tribunal Rabbinique[31].
Ou comme l’a soutenu le Rav Aaron Lichtenstein, directeur de la Yeshiva de Alon Shvut, à propos de la controverse sur la guerre du Liban (1982) :
Une guerre facultative n’est pas, à Dieu ne plaise, une guerre que l’on peut déclencher de façon arbitraire et pour des raisons pragmatiques. Son déclenchement demande de la réflexion, réflexion autant éthique que politique… Elle est gouvernée aussi par des valeurs qui n’ont pas d’appui dans des lois explicites mais qui sont contraignantes en tant que lois de la conscience[32].
L’objectif artificiel de la guerre est en fait politique, ajoute le Rav Lichtenstein mais « la raison et la justification de la guerre » devant un Sanhédrin ne peuvent ignorer « l’aspect éthique ». Comme l’a montré dernièrement le Prof. Yaakov Blidstein, l’approche selon laquelle même la guerre facultative serait légitime d’un point de vue éthique convient à l’acception positive du terme « facultatif » dans son usage dans la littérature des géonim [33].
En fait, nous avons fait allusion à cela dans les propos du Rav Kook mentionnés plus haut [34] ; c’est également dans cet esprit qu’il faut comprendre l’approche du Rav Haïm ha-Levi, Grand Rabbin de Tel-Aviv selon lequel : « Le Tribunal Rabbinique examinait méticuleusement la demande du roi de partir en guerre, si elle était légitime, son degré de gravité, et selon ces critères, on la permettait ou pas [35] » (c’est nous qui soulignons). Au-delà de cela, on peut suggérer qu’ici se trouve la raison pour laquelle le roi voulait demander l’autorisation du Tribunal Rabbinique, raison qui conditionnait le départ en guerre conciliant deux instances, l’instance politique et l’instance judiciaire. J’illustrerai cela avec la théorie monarchique radicale qu’a développée R. Nissim de Gérone (xive siècle), théorie qui a octroyé à l’instance politique de larges prérogatives comparativement à ce que d’autres lois halakhiques lui ont attribué. Le Ran (Rabbi Nissim de Gérone) a beaucoup étendu la puissance de jugement du roi. Il lui a permis de se détourner de l’accomplissement de la Torah là où la situation ou la société le demande. En fait, écrit le Ran, seul le droit de la Torah représente la justice idéale (« la justice de vérité par excellence », le « droit juste »). Cependant, quelquefois, le « droit du roi » représente la justice idéale [36]. En fait, le droit de la Torah est divin et éternel. C’est seulement par son intermédiaire que le peuple juif aura le mérite de s’élever spirituellement et recevra l’abondance céleste. Mais par contre, le « droit du roi » est le droit social efficace et dynamique, ici et maintenant, car il peut s’adapter aux besoins qui changent selon les moments et assurer la paix et la plénitude entre les hommes. Sur cette question, le Ran trouva judicieux d’insister – plus que ne l’ont fait les autres – sur la grandeur du roi et la force qui lui a été attribuée « afin de faire entrer ou sortir le peuple dans l’endroit de son choix, ceci constituant un des avantages de la royauté » [37]. À propos de cette conception, se pose cependant la question de savoir pourquoi le roi (à la force puissante) doit demander conseil au Grand Tribunal Rabbinique (Beth Din) (dont les possibilités sont limitées par le droit de la Torah »).
Pourquoi cette exigence spécifique à propos de la question du départ en guerre ? Précisément c’est, dans ce cas, commenteront en effet certains, que naît le besoin urgent de rapprocher le droit réel du droit idéal. C’est quand il y a danger d’homicide, qu’il y a lieu de faire tous les efforts afin d’éviter le clivage entre les deux perspectives : l’intérêt politique, « le besoin du moment » et le « droit légitime » [38].
Ainsi, et par la suite, cet effort deviendra un modèle susceptible d’être imité dans d’autres domaines, dans lesquels il faut aussi rapprocher au maximum la loi politique réaliste de la loi religieuse idéale : « Bien que la justice royale est plus proche de l’esprit et du besoin du moment, en vertu de son autorité spécifique. Il existe un commandement religieux (mitsva) particulier qui consiste en ce que le roi coordonne son droit avec la justice de la Torah autant que cela est possible ») [39]. À plus forte raison, pour une approche comme celle de Maïmonide, qui n’a jamais différencié clairement l’entité politique de l’entité spirituelle. Maïmonide a exigé du roi qu’il dirige ses actions non seulement dans le sens de l’amélioration de la société mais aussi de l’amélioration religieuse et politique du monde : « élever la religion de vérité, remplir le monde de justice, briser la postérité des mécréants et guerroyer les guerres de Dieu » [40]. Comme beaucoup l’ont compris, ainsi se crée l’occasion de faire peser les valeurs morales sur les objectifs concrets et d’exiger du roi lui-même – et pas seulement du Sanhédrin – de le faire.
Selon une tradition halakhique, on ne déclare pas une guerre excessivement meurtrière qui peut entraîner un nombre de victimes hors de proportion dans le camp de l’ennemi (à plus forte raison, de victimes parmi le peuple juif). Les propos qui ont été émis à ce sujet sont brefs et partiels, cependant, il convient de leur apporter une grande importance dans une ère d’armement de destruction massive. En outre, on peut trouver une application convenable du sens possible de ce débat tel qu’il apparaît dans la littérature religieuse. Ce débat n’est pas apparu à cause d’un problème éthique ou d’une question terminologique mais du besoin d’expliquer un texte qui fait autorité. Ces notions ont évolué durant des générations jusqu’à la nôtre, où elles ont été chargées d’un sens très prononcé.
Dans le Talmud de Babylone, sont rapportées les paroles de l’amora Shmuel qui déclare : « Une royauté qui tue jusqu’à une personne sur six n’est pas punie [41]. » À propos de qui ces propos ont-ils été émis ? Selon les commentaires de Rachi, il s’agit non pas de victimes d’une guerre mais de personnes capturées pour travailler de force. Cependant, selon les commentaires des Tossaphistes, le texte parle de personnes réellement assassinées, tombées lors d’une guerre facultative. Qui sont ces morts ? Certains ont considéré que ce sont des victimes juives : « Nous devons donc considérer que le pourcentage de pertes humaines permis d’après la Torah lors d’une guerre facultative est le sixième des combattants au sein d’une population [42] » (Rav Shlomo Goren). Toutefois, quelqu’un s’est opposé à cette approche et a exprimé sa stupéfaction de ce que ce propos soit tenu : « Que Dieu nous préserve d’une telle conception… et tous ceux qui se répandent en bavardages sur la “ quantité des pertes” sont des destructeurs, que la chose soit ensevelie et que Dieu nous protège d’eux et de leurs masses [43] » (Rav Nahum Rabinovitz).
Selon un commentaire de R. Shlomo Edels (le Maharcha), au xviie siècle, ces propos s’appliquent aux victimes ennemies tombées lors d’une guerre facultative [44]. Cela revient à dire que, si les victimes ennemies représentent le sixième de la population, le roi d’Israël n’est pas puni. Mais s’il y a eu trop de victimes, le roi est puni. S’il y a punition, c’est qu’il y a faute ou alors c’est que la guerre était interdite depuis le début (à cause des conséquences prévisibles) ou du fait que toutes les barrières ont été violées dans la conduite de ce combat. Une clarification sur ce point : bien que le débat sur la quantité de morts donne le frisson, il faut y voir une mise en garde contre une guerre qui engendrerait des pertes humaines massives, et comme on l’a dit, une telle mise en garde peut constituer un élément de poids justement à notre époque, avec la présence d’armements de destruction massive. Comme le dit le Hatam Sofer au xixe siècle : « Le roi n’a pas le droit d’effacer un genre ou un type humain dans sa globalité. » Cela revient à dire qu’il lui est interdit d’effectuer l’extermination d’un peuple de quelque façon que ce soit [45]. Le Rav Yehouda Guershoni, un des grands sages de notre génération a poussé l’idée très loin en considérant que l’interdiction de faire de nombreuses victimes ne concerne pas seulement une guerre facultative d’offensive mais également une guerre défensive. Selon ses propos, seules les guerres saintes bibliques contre les peuples de Canaan et d’Amalek permettaient la mort de tous les ennemis. Cependant, cela est interdit pour toutes les autres guerres [46]. Est-il besoin de préciser les répercussions d’une telle décision sur la possibilité d’une dissuasion nucléaire, et à plus forte raison sur l’utilisation pratique de l’arme nucléaire ?
J’ajouterai une réserve. Dans mes propos, j’ai émis la supposition que s’il y avait peine, il y avait faute. S’il y a peine, il y a interdiction catégorique et si cette interdiction catégorique s’applique à l’acte, il va de soi qu’elle s’applique aussi à la menace de l’acte (car autrement elle n’a pas de valeur). Cependant, il y a des situations morales exceptionnelles, ambivalentes dans lesquelles ces passages logiques sont difficiles. Ainsi, nous trouvons aujourd’hui dans les débats éthiques consacrés à la question de la dissuasion nucléaire que : « La menace de quelque chose qui manque de proportion ne manque pas toujours de proportion (Paul Ramsey) [47]. « L’arme nucléaire fait exploser la théorie de la guerre juste. Cette arme est la première parmi les nouveautés technologiques inventées par l’humanité qui ne peut être conciliée avec le monde moral habituel [48] » (Michaël Walzer).
La nouvelle réalité juive (depuis la création des « régiments hébraïques ») et les guerres de l’État d’Israël ont donné naissance à une perspective globale et systématique sur la question de la guerre et de ses limites. Dans cette perspective, la halakha a comme point de départ principal le fait de voir la guerre comme une pratique interdite. « Du fait que dans chaque guerre, il y a deux craintes, se faire tuer et tuer… et ces deux craintes sont liées à des interdictions de la Torah [49] » (Rav Yehuda Amital). Une permission religieuse spéciale est donc requise pour toute guerre et, comme il a été dit, de nos jours on ne pourra obtenir cette permission que pour une guerre défensive évidente. De ce point de vue, apparaît une intéressante réponse à la question : pourquoi la tradition juive n’a développé que deux catégories de guerres, une guerre obligatoire et une guerre facultative, alors qu’il aurait fallu une troisième catégorie (guerre interdite) ? Comme il a été dit, l’interdiction est le point de départ de tout débat, c’est la norme donnée et c’est exclusivement sur ce fondement qu’il a été possible de développer deux notions particulières, exceptionnelles, d’obligation religieuse de la guerre et de permission de la guerre.
Comme le dit le Rav Yehuda Shaviv :
Il y a trois guerres dans la tradition juive : la guerre interdite, la guerre facultative et la guerre obligatoire. La halakha s’exprime sur les deux dernières. Concernant la première, elle n’a pas besoin de s’exprimer car une guerre qui n’appartient pas aux deux dernières est de toute façon interdite. L’interdiction concerne l’homicide car si la Torah a interdit l’homicide du particulier par le particulier, à plus forte raison est-il interdit pour le public de faire couler le sang d’autres publics [50](c’est nous qui soulignons).
D’autres rabbins actuels ont écrit des choses explicites sur ces thèmes [51]. Ces textes peuvent, comme ceux mentionnés plus haut, offrir une réponse à la question de Walzer dans son article déjà évoqué sur la guerre et la paix dans la tradition juive : « Dans cette période tardive, qui peut établir des interdictions, après que l’on ne connaisse aucune interdiction provenant de Dieu sur cette question ? » En outre, le débat halakhique sur ces questions peut s’avérer être plus strict que d’autres débats philosophiques de notre époque. La pensée libérale et moderne voit dans l’homme une entité autonome par rapport à son corps et à sa vie. C’est pourquoi la question de l’accord et du libre choix des combattants à entrer en guerre peut être déterminante de son point de vue. En fait, à ce propos, certains objectent que, si le conflit s’opère dans la libre volonté des combattants des deux camps (comme pour le cas de mercenaires ou de « jeux de guerre ») et s’ils peuvent interrompre leur engagement quand ils le désirent, il n’y a pas lieu d’y voir un acte criminel et injuste. Michaël Walzer a écrit dans son livre :
Il y a des guerres qui ne sont pas des cauchemars. Nous voyons dans le choix de ces jeunes un signe clair que ce qu’ils choisissent ne peut êtreterrible même si tel semble être le cas à nos yeux… ce leur arrivera, même si cela fait mal, ne peut être considéré comme injuste… Si l’on prend en compte cette liberté de choix, on ne peut pas dire que le genre de guerre qu’ils ont organisé est un acte de délinquance, même si leur combat est sanguinaire, ils sont morts par leur libre volonté… Ce qui est important ici est de savoir dans quelle proportion la guerre (en tant que profession) ou le combat (à ce moment ou à un autre de son déroulement) correspondent à la libre volonté du militaire qui, dans leurs fondements, les accomplit pour des raisons personnelles [52].
C’est une position radicale et controversée également dans le contexte non religieux et libéral (est-ce que la disposition à se faire tuer permet justement de tuer ?) Est-ce que celui qui combat par sa libre volonté « meurt aussi par sa libre volonté » ? Dans le contexte religieux et halakhique, c’est une position impossible du fait que la pensée religieuse ne voit pas l’homme comme maître de son corps et souverain de sa vie. Ainsi, il ne peut pas être autonome et se mettre en danger en déposant sa vie selon son libre choix. Le libre accord peut-il nettoyer la faute cosmique d’homicide (« On ne pardonne pas à la terre le sang versé sur elle » Nb 35,33). Donc les « jeux de guerre » ou les combats de mercenaires, bien que les participants choisissent délibérément les actes de guerres, seront considérés comme des horreurs physiques et morales.
À notre grande surprise, le Rav Saül Israéli a basé la notion de guerre juste sur une certaine conception de la souveraineté de l’homme sur son corps (l’homme non-juif). Comment ? Selon son opinion, la permission halakhique de mener une guerre tire sa force des idées reçues sur la guerre parmi les nations :
Il existe un accord général dans le monde consistant à dire que la guerre est une des solutions aux discordes entre les peuples. C’est seulement durant notre génération que l’on s’évertue à considérer la guerre comme illégitime et le moment n’est pas encore venu d’accepter une obligation réciproque de ce type là. C’est la raison pour laquelle il y a lieu de voir dans l’accord des peuples, le fondement de la guerre comme l’un des moyens légaux[53](c’est l’auteur qui souligne).
Une question se pose : si nous supposons que s’il n’y avait pas eu un accord international, la guerre aurait été interdite, comment cet accord peut-il la permettre ? Cet accord universel peut-il transgresser un interdit, voire l’abolir et faire couler le sang ? Ainsi, le Rav Israéli a introduit l’idée de souveraineté de l’homme non-juif sur sa vie et son corps. Le juif quant à lui a part à la divinité céleste, il n’est pas propriétaire de son corps et de sa vie. Tel n’est pas le cas pour le non-juif, fils de Noé, qui est un fils de ce monde (monde terrestre) et qui, par voie de conséquence, est autonome par rapport à sa vie et sa mort. « Il découle de tout cela que pour le fils de Noé, son accord de rejeter l’interdit de tuer est efficient ». C’est pourquoi l’accord des fils de Noé de permettre la guerre est également efficient. Yosseph Ahitov a développé une critique véhémente de la distinction métaphysique (et méta-halakhique), qui est ici faite entre le peuple juif et l’homme, entre le juif et le non-juif [54]. Toutefois, notre propos concerne ici l’emploi qui est fait de la notion « d’autonomie » comme fondement de l’idée de guerre juste.
Le théoricien moderne de la guerre a exigé un accord personnel de chaque individu à chaque moment de l’acte de guerre. En revanche, le Rav Israéli s’est contenté de l’accord général des nations (l’accord reflète, selon son opinion, les guerres que mènent les nations). Il a créé une analogie entre la situation politique intérieure dans laquelle l’accord national est déterminant (l’accord de chacun en particulier n’est pas demandé) et la situation entre les États dont l’accord international est déterminant (là également, l’accord de chacun en particulier n’est pas demandé) : « et de même que la “loi de l’État” (dina de malkhuta) à l’intérieur du pays trouve sa source dans cet accord, il faut considérer qu’entre les États “la loi de l’État” trouve également sa source dans cet accord [55]. »
Existe-t-il un tel accord entre les nations ? Décident-elles en principe de solutionner les conflits avec les guerres ? Je ne le pense pas. Au contraire, l’accord énoncé est que l’on peut se battre uniquement contre l’agresseur, c’est-à-dire seulement contre celui qui a choisi de régler une discorde au moyen de la guerre. Le fait que concrètement de nombreuses nations ne soient pas fidèles à cet accord ne peut légitimer juridiquement cette habitude (de jure) et la transformer en « un des moyens légaux ». Parallèlement, le fait qu’il y ait de nombreux voleurs qui ne soient pas fidèles à l’accord interdisant le vol ne permet pas de l’autoriser juridiquement. Il est possible de parfaire cet argument pour ce qui concerne l’aspect universel de la guerre en se fondant sur le principe d’autodéfense. Cela revient à dire que ce n’est pas la pratique impropre qui permet le combat mais les conséquences destructrices de cette pratique violente si l’on reste inactif sans se défendre. Comme l’a écrit le Rav Kook en son temps : « Concernant les thèmes relatifs à la guerre, il était impossible que seul le peuple juif ne fasse pas la guerre car ses voisins étant des guerriers, ils auraient anéanti le reste d’Israël [56]. » Quoi qu’il en soit, si la pratique internationale change un jour dans ces domaines, même la permission halakhique d’une guerre facultative sera abolie d’elle-même, ceci sans aucun besoin de nouvelle promulgation religieuse [57].
La réalité historique de la diaspora a fait que les sources juives se sont focalisées plutôt sur des questions historico-philosophiques, théologiques et anthropologiques concernant la guerre et moins sur des directives éthiques concrètes en temps de guerre. Les juifs se sont plutôt intéressés à la signification du phénomène, ils se sont penchés sur les raisons qui conduisent l’humanité à avoir recours aux armes et se sont demandé si la guerre représente la nature ou la chute de l’homme, cependant ils se sont moins intéressés aux questions politiques et pratiques liées à la guerre elle-même.
Toutefois, les juifs et parmi eux les rabbins n’ont-ils pas vécu la guerre durant toute la période de la diaspora (comme le dit Walzer dans son article, p. 96) ? Naturellement, cette généralisation a elle aussi des exceptions intéressantes. J’en présenterai certaines. Il est connu que les juifs d’Espagne ont secouru les musulmans et leur ont servi de protection armée. Même dans les générations plus tardives, certains prenaient les armes et protégeaient leurs villes. Par exemple, R. Shmuel ha-Naguid qui était le ministre des armées au sein du Royaume de Grenade, combattant et commandant a fait mémoire de ses expériences guerrières sous forme de poésies et de poèmes liturgiques. Certains Sages ashkénazes ont aussi rapporté des histoires de guerres héroïques qu’ont menées les juifs persécutés contre les Croisés. Rabbi Shlomo fils de Rabbi Shimshon a décrit de façon pittoresque l’armée de la communauté de Mayence où on « portait des cuirasses et des armes, des plus anciens jusqu’aux plus jeunes » [58] qui s’était levée contre l’ennemi. Rabbi Eléazar ha-Rokeah a raconté : « Une fois quand la ville de Worms fut assiégée le jour du Sabbath par de grandes armées, nous avons averti les juifs de prendre les armes [59]. » Il a décrit les héros du peuple juif comme des chevaliers ceints d’armes de fer. Même si nous doutons de l’exactitude des faits, il faut mettre l’accent sur la conscience et l’image personnelles du combattant juif.
C’est pourquoi les Sages séfarades ainsi que les Sages ashkénazes ont parfois manifesté de l’admiration envers la dynastie hasmonéenne et ses prouesses militaires (contrairement à Walzer, p. 103), relativement « à ce roi Yehouda, fils hasmonéen, qui était un héros » comme l’écrit R. Abraham ibn Ezra : « Il a vaincu les Grecs bien qu’au début il ne possédait ni fortune, ni chevaux [60]. » Il en fut de même pour R. Abraham ibn Daoud en Espagne [61] et Rabbi Eliézer de Belgantsi en Allemagne [62]. Haïm Hilel ben Sasson a dévoilé de nombreux faits éclairants comme ceux-là [63].
Toutefois, ces faits font exception. Au cours de l’histoire juive, seules les guerres des nations constituaient une réalité historique concrète. Les guerres d’Israël avaient un intérêt théologique plutôt que politique. Elles se passaient dans les écrits saints, dans un passé lointain ou conformément au modèle des douleurs messianiques, dans un futur lointain. La guerre concrète du juif se menait plutôt contre le mauvais penchant que contre un ennemi historique réel. La paix a également était traitée dans une perspective utopique, à la lumière de la vision de la fin des temps, essentiellement sous l’angle théologique.
Il n’est donc pas étonnant que les sources juives post-bibliques révèlent une tendance à la spiritualisation explicite des écrits traitant de la guerre et de l’épée [64]. « Mon glaive et mon arc » mentionnés dans la Bible (Gn 48, 22 ; Ps 44, 7) ne sont que « Ma prière et mon souhait » [65]. « Un héros et un homme de guerre » ainsi que « ceux qui ripostent farouchement » évoqués en Esaïe ne sont pas des hommes d’armes mais « ceux qui argumentent dans la guerre de la Torah » [66]. De la même façon, le glaive du héros représente en fait sa Torah [67], les princes des guerres de la Bible étaient aussi des hommes d’étude et des dirigeants du Sanhédrin [68], « les armes de guerres sont les justes » et même « les héros de David » ne sont qu’une manifestation de la force d’esprit du roi d’Israël « au moment où il est assis à la yeshiva » [69].
Cette intériorisation spirituelle, propre aux sources relatives à la guerre et à l’héroïsme, est très répandue dans la littérature midrashique aggadique (à la différence de la littérature midrashique législative) [70], et a été renouvelée sous d’autres formes au Moyen Âge dans les textes des philosophes juifs (selon lesquels ces événements reflètent une lutte intérieure entre les forces de l’âme) [71], et dans les textes des maîtres de la Kabbale (selon lesquels il s’agit d’attributs divins) [72].
Il est intéressant d’établir un parallèle entre ces phénomènes dans la littérature juive et l’évolution des commentaires spiritualistes chrétiens de l’Écriture. Le christianisme a débuté par une annonce pacifique. Ainsi en est-il de nombre de propos du Nouveau Testament, le « Sermon sur la Montagne » en tout premier lieu ? C’est comme cela que se sont vues les premières générations chrétiennes par rapport à elles-mêmes et par rapport aux autres [73]. Plus tard, quand le christianisme devint la religion officielle de l’empire romain, est née la doctrine de « guerre juste ». Augustin, principal représentant de cette doctrine, s’est appuyé à cet effet sur les prophètes, sur leurs textes et leurs propos. Cependant il dut paradoxalement interpréter et sortir de leur sens obvie les versets néo-testamentaires afin de les commenter [74]. Il a effectué cela selon une démarche de spiritualisation et d’intériorisation, mais, cette fois, non pas sur les versets qui enseignent la guerre mais sur ceux qui enseignent le pacifisme. Ces versets ne traitent que de l’intériorité de l’homme, des profondeurs de son esprit, et non d’une réalité historique réelle [75]. Ainsi en fut-il d’une religion qui venait de monter sur la scène politique et avait acquis pouvoir et autonomie, par rapport à une autre religion qui avait abandonné cette scène depuis de nombreuses générations.
Une troisième période de la doctrine de la guerre chrétienne se produisit au Moyen Âge durant les Croisades : le passage d’une « guerre juste » à une « guerre sainte » [76]. À ce niveau aussi, il y a un parallèle contradictoire avec la littérature juive. La mémoire juive s’ouvre avec la « guerre sainte » contre les nations païennes en terre de Canaan, mais avec le temps, la Mishna (Yadaim 4, 4) et, sur ses traces Maïmonide, ont annulé le sens de la guerre sainte de l’Israël antique pour le présent et pour le futur [77]. Dans la perspective de la mémoire de l’histoire façonnée par les Sages, déjà Josué avait envoyé lui-même des missives aux habitants de la terre d’Israël pour leur proposer de choisir la paix. Concrètement, la notion de « guerre obligatoire » n’a subsisté que pour « aider Israël à échapper à un ennemi », c’est-à-dire pour une guerre défensive ; une guerre défensive qui correspond à la « guerre juste » de la littérature européenne, et non à la « guerre sainte ».
Enfin, concernant l’idée de « guerre sainte », peut-on considérer que la littérature religieuse a fait place à une réaction humaine qui la prohibe pour des raisons morales ? Walzer a attiré notre attention sur l’obligation religieuse d’obéir à l’ordre divin contredisant l’éthique humaine. Il a mentionné l’histoire talmudique relative au roi Saül qui a refusé l’ordre divin d’exterminer Amalek en fonction de l’argument suivant : « Si les grands ont fauté, en quoi les petits ont-ils fauté [78] ? » Et comme on le sait, la réaction divine fut : « Ne sois pas excessivement juste ». La protestation humaine et éthique n’a donc pas bénéficié d’une quelconque légitimité. Cependant, cela n’exprime pas toute la réalité. Dans d’autres sources où l’on trouve des textes sur la guerre – notamment la littérature midrashique –, les Sages sont allés dans le sens d’une défense de la protestation humaine et éthique prohibitive afin de lui reconnaître une légitimité face à l’ordre divin. Ils ne purent trouver repos jusqu’à ce qu’ils confèrent à cette prohibition une force édificatrice et législative à travers l’histoire.
Je mentionnerai deux exemples tirés de textes midrashiques et relatifs à deux figures humaines idéales : Moïse et le Messie. Sur Moïse, il est dit (l’histoire apparaît dans différentes versions. Je citerai la version la plus détaillée et la plus tardive telle qu’elle apparaît en Midrash Tanhuma 96, 3 :
Tu peux te rendre compte que Dieu annule ses mauvais décrets grâce à la paix. Quand ? Lorsque Dieu a dit à Moïse : « Quand tu assiégeras une ville durant de nombreux jours » (Dt 20, 19). Dieu lui dit de les excommunier et Moïse ne le fit pas. Il dit au contraire : « Maintenant j’irais frapper celui qui a fauté et celui qui n’a pas fauté ensemble ? Au contraire, j’irai vers eux pacifiquement… Lorsqu’il vit que [l’ennemi] ne venait pas pour la paix, il le frappa. Dieu dit : « D’une excommunication, je les frapperai », et toi, tu ne l’as pas fait, par ta vie, comme tu l’as dit, je le ferai, comme il est dit : « Lorsque tu t’approcheras d’une ville afin de lui faire la guerre, tu l’appelleras à la paix ».(Id. 20, 10)
Cela revient à dire : Moïse comme Saül a opposé une argumentation éthique autonome face à l’injonction divine (« J’irai et je frapperai celui qui a fauté et celui qui n’a pas fauté ensemble ? » ; à comparer avec les propos de Saül dans le Midrash précité : « Si les grands ont fauté, en quoi les petits ont-ils fauté ? »). Cependant cette protestation qui n’a pas été dotée d’une reconnaissance céleste [79] a finalement obtenu un statut constitutionnel et législatif, alors qu’à sa suite, et conformément à elle, la halakha a été fixée pour toujours : « Lorsque tu t’approcheras d’une ville afin de lui faire la guerre, tu l’appelleras à la paix ».
Concernant le Messie, il est également dit (Midrash sur Psaumes 120) :
Je suis paix car je leur parlerai de guerre (Ps 120, 7). Qu’est-ce que « Paix » ? Ainsi Dieu a dit au Messie : « Tu les briseras avec un sceptre de fer » (Ps 2, 9). Il lui dit : « Maître du monde, non, c’est pour la paix que je parle aux non juifs ». Ainsi il est dit : « Je suis paix car je leur parlerai de guerre ».
Ces textes midrashiques élèvent la conscience humaine à un statut autonome et fondateur. Cela revient à dire que la tradition a laissé une place exceptionnelle à une réaction humaine opposée à l’injonction à la de guerre. Il n’est pas étonnant qu’un R. Isaac Arama, Sage espagnol du xve siècle, ait prétendu que l’injonction de la Torah à appeler à la paix dès le début d’une guerre n’est pas seulement une annonce formelle afin de soumettre l’ennemi. Cette injonction enseigne à Israël à s’adresser à l’ennemi « avec des paroles de vœux, de supplications, de la façon la plus agréable, cherchant à le convaincre… car c’est ce qui s’impose du point de vue que les hommes peuvent avoir sur la paix autant que du point de vue divin » [80] (c’est nous qui soulignons). C’est comme si Dieu avait dès le début invité les hommes à prendre l’initiative de l’interdiction de la guerre et c’est ce qui a finalement fondé en pratique la notion première de « guerre interdite » dans la halakha, c’est-à-dire toute guerre au début de laquelle on n’a pas appelé à la paix.
NOTES : 
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1.           M. Walzer, Guerres justes et injustes (trad. Yoram Bronovski), Tel-Aviv, 1984 [En hébreu].
2.           M. Walzer, « War and Peace in the Jewish Tradition », T. Nardin (éd.), The Ethics of War and Peace, Princeton, 1996, p. 95-114.
a.           Ravitzky, « Prohibited War in Jewish Tradition », T. Nardin (éd.), The Ethics of War and Peace, p. 115-127.
3.           Cette évolution est analysée en détail – dans des travaux de recherches et la presse – par ses détracteurs et par ses adeptes. En revanche, la seconde mutation à propos de la « guerre interdite » n’est pas traitée et demande de l’être.
4.           Au contraire d’une idée stéréotypée, cette évolution ne s’est pas effectuée au sein d’un groupe idéologique défini et n’est pas dépendante d’une conception politique sur la question de la terre et de la paix.
5.           Talmud de Babylone, Ketuboth 111a.
6.           R. Behayye ben Acher, Commentaire sur la Torah, Jérusalem, 1958, Vaichlah, 32, 6 ; R. Yshayaou Horovits, Shne Luhot ha-brit, Jérusalem, 1963, 3, 48. Voir l’annexe de mon livre La fin dévoilée et l’État des juifs, Tel-Aviv, 1993, p. 277-310 [en hébreu]. Voir aussi S. Mohliber, Le livre de Shivat Zion, Varsovie, 1900, p. 9 [en hébreu].
7.           R. Abraham Isaac hacohen Kook, Oroth, Jérusalem, 1963, p. 14 ; comparer avec Id. Olath Rehia, Jérusalem, 1962, t. I, p. 377 [en hébreu].
8.           R. I. Y. Reines, Nouvelle lumière sur Zion, Vilna, 1902, p. 19b. Mon ami Elie Holtser s’attarde sur cela dans la thèse de Doctorat qu’il écrit actuellement sous ma direction. Comparer avec Y. Aakin, Sefer lev ibare, New York, 1857, p. 115. Voir aussi la conception radicale de R. Moshé Feinstein, Igerot Moshé, Bné Braq, 1985, Hoshen Mishpat, II, 78 : « Ce que je pense est que l’idée de guerre – du fait qu’elle touche la préservation de la vie –, doit être validée par un ordre particulier et une permission du Sanhédrin même pour une guerre obligatoire (milhemet mitsva) comme la guerre contre Amalek. Ceci se fonde sur David et Salomon et tous les rois justes qui ne sont pas partis en guerre contre Amalek. Ceci est une chose établie à propos de laquelle il n’est nul besoin de polémiquer. C’est seulement lorsque les idolâtres ont attaqué Israël comme Antiochus le roi grec, qu’une guerre fut déclenchée afin de sauver des vies. »
9.           Maharcha, Hidushe halakhot ve-aggadoth, éditées dans les éditions courantes du Talmud, Sanhédrin 16a. Voir I. Gliksberg, « L’autorité du Sanhédrin dans le déclenchement d’une guerre », Torah shebe al pe, 13 (1971), p. 181 [en hébreu].
10.         Y. Shaviv, Betsir Aviezer, Alon Shvut, 1970, p. 114 [en hébreu]. Voir aussi Y. Blidstein, « Actions contre une population civile hostile dans la halakha aujourd’hui », État, gouvernement et relations internationales, 41-42 (1997), p. 155-169 [en hébreu].
11.         Maïmonide, Mishne Torah, Lois sur les Rois VI, 1.
12.         Voir : S. Goren, Meshiv Milhama, Jérusalem, 1986, III, p. 259 [en hébreu].
13.         Yshayaou Karelitz (Hazon Ish), Biurim ve-hidushim al ha-Rambam, (édité avec le Mishne Torah de Maïmonide), Jérusalem, 1957, Lois sur les Rois, V, 1.
14.         Y. Amital, « Les guerres d’Israël selon Maïmonide », Tahumin, 8 (1987), p. 460 [en hébreu]. Comparer avec les propos du Rav Isaac Man, Beer Miriam, Kefar Hassidim, 1984, Lois sur les Rois, VI, 5, p. 128 : « Il est évident pour Maïmonide qu’on ne peut faire la paix avec des personnes qui transgressent les sept lois noachides et Dieu a dit qu’il n’y avait pas de paix avec les mécréants… mais cela ne signifie pas qu’il ne puisse y avoir de guerre ». Voir aussi les commentaires sur la Torah de R. Shimshon Raphaël Hirsh : Commentaires sur la Torah, Jérusalem, 1988, sur Dt 20, 10 qui insiste sur le fait que l’on peut faire la paix avec les sept peuples « à la condition qu’ils s’éloignent de l’idolâtrie et qu’ils appliquent les sept lois noachides ». Il n’est pas dit « Rejette-les sans réserves » ; ceci s’ils veulent résider en terre d’Israël en se préservant de pratiques idolâtres et en ayant une conduite acceptable ». Voir également N. Zohar, « Morality and War : A Critique of Bleich’s Oracular Halakha », D. H. Frank (éd.), Commandment and Community, New York, 1995, p. 251 ; D. Bleich, « Response to Noam Zohar », ibid., p. 263 ; mon étude « Prohibited War in Jewish Tradition » a été écrite avant la controverse entre Zohar et Bleich. Mon ami David Dishon s’attardera sur ces notions dans la thèse de Doctorat qu’il écrit sur la guerre facultative dans la pensée juive et la halakha. Voir aussi les propos du R. Israéli dans la note 17. Voir les propos de Maïmonide sur les sages des nations qui observent les lois noachides du fait d’une « logique de l’esprit » (Lois sur les Rois VIII, 11 ; comparer avec les Lois sur les bénédictions X, 11) où l’on observe qu’ils ont une part dans le monde futur. Il convient de s’attarder sur les propos de Y. Levinger, Maïmonide comme philosophe et comme décisionnaire, 1990, p. 23 [en hébreu] ; D. Hanshke, « Sur la question de la cohérence de la pensée de Maïmonide », Daat, 37 (1996), p. 48-50 [en hébreu] (et la bibliographie détaillée qui est rapportée), cependant il s’agit dans cette analyse de particuliers et non de sociétés ou de peuples.
15.         Y. Katz, Halakha et Kabbale, Jérusalem, 1986, p. 291-310 [en hébreu] ; J. Blidstein, « L’approche du Méïri sur les non juifs », Zion, 51 (1986), p. 153-166 [en hébreu] ; M. Albertal, « R. Menahem ha-Méïri : entre la Torah et la sagesse », Tarbiz, 63 (1994), p. 102-118 [en hébreu] ; R. Abraham Isaac Kook, Igerot ha-Reyia, Jérusalem, 1962, p. 99 : « On statue selon l’opinion du Méïri selon laquelle les peuples qui se comportent convenablement avec autrui sont considérés comme des résidents (en terre d’Israël) à part entière ».
16.         Il est intéressant de constater que le Rav Saül Israéli, Directeur de la Yeshiva « Merkaz ha-Rav », a commenté de façon similaire les propos de Nahmanide. Comme il le dit : « Nahmanide a écrit qu’on peut décréter une guerre contre les idolâtres… qui transgressent les sept lois noachides, du fait qu’ils n’accordent pas d’importance (à ces lois). Aujourd’hui, où la plupart des peuples sont cultivés, ne pratiquent plus l’idolâtrie et observent peut-être les sept lois noachides, la notion de “guerre facultative”, n’existe plus ». Cela revient à dire qu’il est interdit de décréter une guerre autre que défensive. Voir « L’action de riposte selon la halakha », Y. Shaviv (éd.), Au carrefour de la Torah et de l’état, III, (1991), p. 279 [en hébreu] ; Y. Caspi, Mishné Kessef, Cracovie, 1902, p. 293 : « Dieu nous a ordonné de prendre en pitié l’homme quel que soit son peuple, en dehors des sept nations qui sont comme des bêtes féroces ».
17.         Sur l’opinion des Tossaphistes, voir leurs gloses en Abodah Zarah 26b (début de la glose : « velo »). Voir aussi M. Hacohen, Halakhot ve-halikhot, Jérusalem, 1975, p. 197-198.
18.         Voir note 14.
19.         Voir note 14. Il est possible que le Hazon Ish lui-même n’ait pas procédé à ces clarifications, cependant, ses propos s’offrent à l’interprétation et peuvent être expliqués de cette façon. Dans son travail, David Dishon (note 15) pense que, selon le Hazon Ish, le Rahavad et Nahmanide se sont satisfaits de l’acceptation des sept lois noachides pour l’interdiction de la guerre facultative.
20.         R. Abraham Isaac Kook, Igerot ha-Reyia, I, p. 140 ; Voir Amital, « Les guerres d’Israël selon Maïmonide », p. 461.
21.         Lois sur les Rois V, 1.
22.         Nahmanide, Hassagot al Sefer ha-Mitsvot le-Rambam, (édité avec le Sefer ha-Mitsvot), Tel-Aviv, 1957, 3e commandement (supprimé par Maïmonide). Pour une étude fouillée de la question, voir S. Israéli, Eretz Hemda, Jérusalem, 1957, paragraphe 1-2 ; M. Z. Nehuraï, « La terre d’Israël dans les conceptions de Maïmonide et de Nahmanide », M. Halamish, A. Ravitzky (éds.), La terre d’Israël dans la pensée juive médiévale, Jérusalem, 1991, p. 129-136 [en hébreu] ; A. Ravitzky, Sur la pensée du Lieu : études sur l’évolution de la pensée juive, Jérusalem, 1991, p. 42-46 [en hébreu].
23.         Z. Hacohen Kook, Mitokh ha-Torah ha-goelet, H. Schwartz (éd.), Jérusalem, p. 123 : « Le commandement de conquête de la terre d’Israël nous incombe et nous ordonne d’entrer en guerre même si nous devons en mourir » ; C. Aviner, « L’héritage de la terre et le problème éthique », Artsi, 2 (1982), p. 111 [en hébreu] ; Y. Ariel, « Les choses comme elles sont », Tsefia, 1 (1984), p. 36 [en hébreu] ; H. Porat, « La polémique sur le Rav Amital concernant la terre d’Israël », Nequda 56 (1982), p. 27-28 [en hébreu]. Comparer avec S. J. Zevin, « La guerre selon la Halakha », Torah shebe al pe, 13 (1971), p. 147 ; A. Valdenberg, Tsits Eliézer, III, 9, paragraphe 2.
24.         S. Israéli, « Réponse à la question, aucune parcelle [de la terre d’Israël] – commandement de la Torah ? », publication de « Oz ve-Shalom », Jérusalem, 1978, p. 4 [en hébreu] ; comparer avec Id. Eretz Hemda, paragraphe 1.
25.         N. Rabinovitz, « L’approche de Nahmanide et de Maïmonide sur l’obligation religieuse de conquête de la terre », Tehumin 5 (1984), p. 184 [en hébreu] ; Comparer avec M. Nehuraï, « La terre d’Israël dans les conceptions de Maïmonide et de Nahmanide », M. Halamish ; A. Ravitzky (éds.), La terre d’Israël dans la pensée juive médiévale, p. 123-137.
26.         Voir par exemple les conclusions du R. Yaakov Ariel, « Les choses comme elles sont », p. 174-179.
27.         R. Kook, Oroth, Jérusalem, 1976, p. 14.
28.         Ralbag, Commentaires sur la Torah, Dt 7, 9.
29.         R. Abraham di Botan (auteur du Lehem Mishne, xvie siècle) a limité cela seulement à des guerres dissuasives. Comme il le dit : « Qu’ils le craignent et qu’ils ne viennent pas vers lui ». Voir A. Anber, « La guerre dans la tradition juive », État, gouvernement et relations internationales, 26 (1987), p. 3 ; D. Bleich, « Pre-emptive War in Jewish Law », Tradition 21, 1 (1983), p. 12 ; Y. Halevi Hertsog, Shut Hekhal Itshak, Jérusalem, 1960, Orah Hayim, paragraphe 38. Certains ont ajouté : « Lorsque tu sortiras en guerre contre ton ennemi (Dt 20, 1), il est dit “ton ennemi” car tu ne fais pas de guerre facultative contre des peuples avec lesquels tu es en paix, seulement contre ton ennemi. » (Meïr Levush Malbim, Malbim sur la Torah, Jérusalem, 1957, p. 762 ; comparer avec R. Shimshon Raphaël Hirsh, Commentaires sur la Torah, p. 241).
30.         H. Hirshenzon, Malki ba-qodesh, St Louis, 1899, p. 93-94.
a.           Lichtenstein, « Éthique humaine et éthique divine », Les valeurs dans les nuances de la guerre, Alon Shvut, 1982, p. 18 [en hébreu] ; Comparer avec Id. « L’éthique de la guerre », Tehumin 4 (1983), p. 184 [en hébreu] ; J. Blidstein, Les fondements politiques dans l’enseignement de Maïmonide, Ramat-Gan, 1983, p. 216-220 [en hébreu].
31.         Blidstein, ibid., p. 220 note 18. Voir aussi les propos de R. David Bonfil, (xiiie siècle) : « Il est illicite de voler aux nations leur part ; la terre d’Israël ne nous a été donnée que parce que les Cananéens ne l’ont pas mérité » (Hidushim al Massehet Sanhédrin, éd. Lifshitz, Jérusalem, 1968, p. 91a).
32.         Voir note 21.
33.         H. D. Halevi, « Le service militaire selon la Halakha », Torah shebe al pe, 13 (1971), p. 178 [en hébreu].
34.         R. Nessim ben Reuven, Drashot ha-Ran, (éd. A. L. Feldman), Jérusalem, 1977, texte 11, p. 189-199 ; 201-203. Voir aussi dans ce livre l’article « Religion et état ».
35.         R. Nessim ben Reuven, Hidushe ha-Ran, (non daté et sans mention de lieu d’édition), sur Sanhédrin 20b, p. 201.
36.         Comparer avec S. Federbush, Le droit dans la royauté juive, Jérusalem, 1954, p. 199 [en hébreu] : « L’approche éthique dans le droit sur la déclaration de la guerre se reflète tout d’abord dans la loi selon laquelle il est interdit au roi ou au régime militaire de déclarer une guerre, du fait qu’ils aspirent au pouvoir et aux victoires. Il faut donner ce droit seulement à un représentant religieux ou juridique afin de statuer sur la légitimité de la guerre d’un point de vue moral ».
37.         Gliksberg, « L’autorité du Sanhédrin dans le déclenchement d’une guerre », p. 186 ; comparer avec Avne Nezer, Jérusalem, 1987, Orah Haim, paragraphe 310 de l’Admor Abraham Bonrstein de Sokhatshov.
40. Lois sur les Rois, IV, 10. Voir Rabinovitz, « L’approche de Nahmanide et de Maïmonide sur l’obligation religieuse de conquête de la terre » ; Amital, « Les guerres d’Israël selon Maïmonide » ; J. J. Blidstein, « Holy War in Maimonidean Law », J. L. Kraemer (éd.), Perspectives on Maimonides, Oxford, 1991, p. 209-220.
41. Talmud de Babylone, Shavuoth 35b.
42. Goren, Meshiv Milhama, I, p. 14 ; III, p. 354.
43. Rabinovitz, « L’approche de Nahmanide et de Maïmonide concernant l’obligation religieuse de conquête de la terre », p. 184.
44. Maharcha, Hidushe halakhot ve-aggadoth, Sanhédrin, 16a ; Naftali Zvi Berlin, Haemek Davar (Commentaires sur la Torah), Jérusalem, 1984, Gn 9, 5 ; Dt 20, 8.
45. Moshe Sofer, Hatam Sofer, Vienne, 1865, I, p. 208. Voir aussi Shaviv, Betsir Aviezer, p. 102 ; Y. Ahitov, « Les guerres d’Israël et la sanctification de la vie », Y. Gafni, A. Ravitzky (éds.), La sanctification de la vie et le martyr, Jérusalem, 1992, p. 263 [en hébreu].
46. Y. Gershoni, « Sur l’héroïsme et sur les guerres », Tehumin, 4 (1983), p. 59. Le Hazon Ish a aussi expliqué qu’il s’agit d’un châtiment à cause de meurtres de non juifs dans un rapport de un à six (Yore Dea, 157, 4).
47. P. Ramsey, The Just War, Durham, 1961, p. 303.
48. Walzer, Guerres justes et injustes, p. 332.
49. Amital, « Les guerres d’Israël selon Maïmonide », p. 460.
50. Shaviv, Betsir Aviezer, p. 85.
51. Zevin, Leor ha-Halakha, p. 10. En fait, auparavant le R. H. Hirshenzon, dans la perspective de la constitution de régiments hébraïques lors de la Première Guerre mondiale, a développé la notion de « guerre facultative » pour ménager une exception à la notion de « guerre interdite », afin que l’on ne pense pas que la guerre du type « facultatif » soit interdite du fait que par elle-même, la guerre est crime pour les autres, danger pour soi-même… et du fait que dans la guerre injuste, il y a interdiction du pillage, du vol et du suicide. « Facultatif » n’a donc de sens que par rapport à « interdit » (Malki ba-qodesh, I, p. 92).
52. Walzer, Guerres justes et injustes, p. 36-39.
53. S. Israéli, Amoud ha-Yemini, Tel-Aviv, 1976, p. 77 [en hébreu].
54. Ahitov, « Les guerres d’Israël et la sanctification de la vie », p. 269 ; R. Kook, Daat Cohen, Jérusalem, 1993, paragraphe 199, p. 383.
55. Il est fait référence ici à un principe talmudique : « La loi de l’État est la loi » (note du traducteur).
56. R. Kook, Iggeroth ha-Rehia, I, p. 140. Comparer avec Maamare ha-Reyia, Jérusalem, 1984, I, p. 508. Au niveau halakhique, le Rav Kook a compris la permission de tuer lors d’une guerre comme un commandement ponctuel (Mishpat Cohen, Jérusalem, 1976, p. 153-154). Ainsi, toutes les opinions présentées dans ce chapitre s’inspirent de lui. Le Rav David Frankel, le commentateur du Talmud de Jérusalem (Auteur du Korban ha-Eda, xixe siècle), a fait reposer la loi de guerre dans la volonté halakhique de protéger le persécuté : si la Torah a ordonné de sauver le particulier persécuté du persécuteur, et a permis de porter préjudice à la vie de ce dernier, à plus forte raison le permet-elle pour sauver la collectivité. (Shaare Korban sur le Talmud de Jérusalem, Sotah VIII, 10. Voir aussi S. Arieli, Le jugement de la guerre, Jérusalem, 1972, p. 13 [en hébreu]).
57. Le Rav Israéli est lui-même parvenu à cette conclusion.
58. A. M. Haberman, (éd.), Les persécutions d’Allemagne et de France, Jérusalem, 1990, p. 30 ; 97 [en hébreu].
59. Eléazar ha-Rokeah, Sepher ha-Rokeah, Jérusalem, 1960, Hilhot Eruvin, paragraphe 196, 85.
60. Commentaire sur Zacharie, 9, 9-16.
61. Abraham ibn Daoud, Divre Malkhe beit Sheni, Mantoba, 1524, p. 62.
62. Commentaires sur Aggée, 2, 7-9.
63. H. H. Ben Sasson, « La particularité du peuple juif aux yeux des hommes du xiie siècle », Praqim, 2, Jérusalem, 1969, p. 166-168 ; 177 ; 214-216.
64. Les notes à venir se fondent sur ce que j’ai écrit dans mon livre Al daat ha-Maqom (Sur la pensée du Lieu), p. 21-22.
65. Targum Onkelos sur Gn 48, 22 ; Tanhuma Beshalah, 89. Comparer avec Mekhilta de Rabbi Ismaël, 14, 10 ; Baba Batra 123a.
66. Hagiga 14a ; Megila 15b.
67. Midrash sur Psaumes, 45, 4.
68. Yalkuth Shimoni, 2, 141.
69. Moed Qatan 16b ; S. Goren, « L’héroïsme dans l’enseignement juif », Mahanaïm, 120 (1969), p. 7-13 [en hébreu] ; R. Kimelman, « Nonviolence in the Talmud », Judaism, 17 (1968), p. 316-334 ; D. S. Shapiro, « The Jewish Attitude towards Peace and War », L. Jung (éd.), Israel of Tomorrow, New York, 1946, p. 220 ss.
70. Voir Goren, ibid.
71. Voir à titre d’exemple : Y. Anatoli, Melamed ha-Talmidim, Liq, 1866, p. 22b ; 31b ; 85b ; Moïse ibn Tibon, Commentaire sur Cantique, Liq, 1874, 14b.
72. Voir à titre d’exemple : Joseph Gikatila, Shaare Ora, porte 3-4 (commentaire du nom « Tsevaot »).
73. G. F. Nuttal, Christian Pacifism in History, Oxford, 1958. J. Ferguson, War and Peace in the Worlds Religions, Londres, 1977, p. 101-122.
74. L. B. Walters, Five Classical Just-War Theories, Hartford, CT, 1971 ; J. B. Hehir, « The Just-War Ethic and Catholic Theology », T. A. Shannon (éd.), War or Peace, New York, 1980, p. 3-15.
75. H. Russel, The Just War in the Middle Ages, Londres, 1977, p. 16-39 ; Walters, Five Classical Just-War Theories, p. 61-62 ; Nuttal, Christian Pacifism in History, p. 106.
76. Sur la renaissance de l’idée de guerre sainte parmi les croyants protestants du xviie et du xviiie siècle, voir M. Walzer, The Revolutions of the Saints : A Study in the Origins of Radical Politics, Londres, 1966, p. 270 ss : J. Hick, « Christian Doctrines in the Light of Religious Pluralism », International Religious Foundation Newsletters, 3, (1988).
77. Mishna Yadaim 4, 4 ; Maïmonide, Sefer ha-mitsvot 187. Voir Hacohen, Halakhot ve-halikhot, p. 180-203.
78. Yoma 22b.
79. Il va sans dire que la différence se situe dans la figure démoniaque d’Amalek et dans l’injonction d’effacer sa mémoire. C’est peut-être aussi la différence entre la figure midrashique de Saül et les figures de Moïse et du Messie, car pour ces derniers Dieu ne peut pas dire : « Ne sois pas excessivement mécréant » (comme Il l’a dit à Saül après le meurtre des prêtres de Nov, Yoma 22b).
80. Issac Arama, Aqedat Itsah, Israël, 1974, porte 81, p. 105.
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