L'arche
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U.S.A. : le dernier quart d'heure
Par Philippe Ben | 28 novembre 1976
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En 1976 a lieu l'une des élections présidentielles les plus serrées de l'histoire américaine. Elle oppose le président en exercice, le Républicain Gerald Fold, au démocrate Jimmy Carter. Cette élection, comme souvent, enflamme la société israélienne. Le correspondant de L'Arche à New-York, Philippe Ben, racontait l'âpre lutte pour le vote juif durant cette campagne.

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Revue de l'Arche de novembre 1976
La dernière phase électorale aura été marquée par une âpre lutte pour le vote juif. À cela une raison : la victoire de Carter dans le camp démocrate.
De notre correspondant à New-York
Longtemps inconnu, les Juifs n'avaient pas donné leurs suffrages à Jimmy Carter, lors des élections primaires qui décident du choix du candidat présidentiel de chaque parti. Les favoris de cet électorat, le sénateur Henri Jackson ou l'ancien vice-président Hubert Humphrey, ont disparu de la scène politique.
Depuis des décennies, les Juifs votent démocrate ». Car les démocrates représentent, depuis le début de ce siècle, du moins dans les grandes villes, le parti des minorités : Italiens, Irlandais, Juifs, voire Noirs. De là à voter pour ce Carter dont on ne savait rien, qui plus est un Sudiste, membre d'une secte protestante - deux symboles des préjugés religieux et raciaux, surtout pour le Nord des U.S.A.; deux symboles aussi qui fleuraient l'antisémitisme.
C'est pourquoi les stratèges républicains de la campagne du président Ford affirmaient, avec une certaine confiance, que, pour la première fois, il existait une chance sérieuse de voir les Juifs voter « républicain ». Même si Jerry Ford et, curieusement, Henry Kissinger ne semblent pas très populaires au sein de cette partie de la population, du fait de leurs pressions constantes sur Israël.
Cette analyse a été étayée par les considérations suivantes : la victoire du 2 novembre reviendra à celui qui l'emportera dans plusieurs grands États industriels. Dont New-York, la Pennsylvanie, l'Illinois, le Michigan, la Californie. Cette opinion, déjà très répandue en juillet et en août, a pris la force d'un dogme vers la fin de la campagne électorale.
On considère comme acquis que Jimmy Carter domine le Sud et Gerald Ford certains pays du Middle-West. La décision se fera, de ce fait, à New-York et en Californie, en Pennsylvanie et à Chicago. Or, tous les sondages sont formels sur ce point, dans toutes ces circonscriptions majeures, la victoire ne tiendra qu'à très peu, et la majorité y sera «mince». Dans tous ces États, comme on sait, la démographie juive a un poids important. Même si à Los Angeles, Philadelphie et Chicago ils ne sont pas aussi nombreux qu'à New-York, une élection « serrée » - et tous les sondages désignent ce scrutin comme tel - accroît l'importance de leurs voix. De surcroît, on estime que la moitié des Américains ne se rendent pas aux urnes, alors que les Juifs passent pour prendre particulièrement au sérieux leurs devoirs de citoyens.

Assauts de promesse

Dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant à ce que Ford et Carter se soient lancés dans une offensive généralisée, au cours de ces dernières semaines de campagne, pour la conquête de l'électorat juif. Jimmy Carter a pris les devants : d'emblée, il promet de veiller à l'intégrité d'Israël, en lui fournissant toute l'aide économique et militaire nécessaire; il renonce à exercer toute pression sur l'État juif, lui laissant la latitude de négocier, tôt ou tard, un compromis avec ses voisins. Allant plus loin encore, il s'engage formellement à ne pas demeurer passif au cas où les Arabes renouvelleraient leur embargo. Contrairement à Nixon et Kissinger, en 1973 il déclencherait un contre-embargo : sur les armes, les vivres et autres produits. Les effets de ces déclarations n'ont pas tardé à se faire sentir. Nombre d'électeurs juifs qui, il y a quelques mois encore, se sentaient orphelins après le retrait de leurs candidats, se sont convertis en partisans de Carter. Comme eux, un grand nombre d'Américains non-juifs ont été confortés par les mots de Carter sur le boycottage arabe. Ils voyaient dans les pressions arabes non seulement une arme contre Israël et ses supporters, mais surtout comme une intolérable ~ atteinte étrangère à un principe élémentaire de la république américaine : l'égalité de tous les citoyens sans distinction de race ou de religion. Certes, l'antisémitisme n'est certainement pas un phénomène inconnu aux États-Unis, mais l'immense majorité des citoyens y est réellement attachée au « Bill of Rights ». L'offensive réussie de Carter a bien sûr provoqué une contre-offensive de Ford, à qui ses experts en relations publiques ont affirmé que son seul espoir de rattraper son retard et de battre son rival résidait dans une victoire à New-York, à Chicago, en Pennsylvanie et en Californie. Dans cette perspective, le président en exercice a fait quelques démarches qui lui assureront des votes dans les quartiers juifs de Brooklyn ou de Fairfax, un quartier commercial de Los Angelès. Devant les micros de la radio et les spots de la télévision, les photographes de presse et de cinéma, le président Ford a lu une déclaration promettant la livraison à l'État juif de plusieurs catégories d'armes (quatre, disent les journalistes) qui attendaient depuis longtemps sur les listes du «panier d'achat» israélien, armes nécessaires à sa sécurité, pour contrebalancer les achats massifs des Arabes, payés par les pétro-dollars. Jusqu'alors, aux multiples requêtes israéliennes les fonctionnaires du State Department et du Pentagone avaient toujours opposé la même réponse :
« Nous ne vendons jamais ces armes à des pays étrangers. »
Il est, en tout cas, trop tard pour risquer un pronostic sur l'efficacité de ces deux tactiques : de l'offensive de Carter et de la réaction de Ford. Ce qui, par contre, ressort de cet enjeu électoral, même si les déclarations de l'un ou de l'autre ne devaient pas tout à fait être prises à la lettre, c'est qu'elles auraient contribuer à convaincre l'opinion américaine, et, par- delà, l'opinion mondiale, qu'un revers sérieux d'Israël est considéré par les dirigeants américains comme une défaite de leur propre pays et qu'ils sont donc obligés de le prévenir par tous les moyens en leur pouvoirs.
En somme, pour ceux qui considèrent la politique comme une œuvre esthétique, la meilleure réponse aura été fournie par Golda Meir lorsque, à ceux qui se plaignaient de la démagogie électorale qgi détermine l'attitude pro-israélienne des États-Unis, elle répliquait : «Je voudrais voir le jour où le gouvernement soviétique fera quelque chose parce que c'est là le désir des Juifs soviétiques». Car, finalement, qu'est-ce qu'une démocratie si ce n'est un régime dont la politique intérieure, étrangère et économique correspond aux désirs de la population?
PHILIPPE BEN
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