L'arche
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Israël à l'écoute des U.S.A.
Par Jacques Tarnov | 01 novembre 1976
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En 1976 a lieu l'une des élections présidentielles les plus serrées de l'histoire américaine. Elle oppose le président en exercice, le Républicain Gerald Fold, au démocrate Jimmy Carter. Cette élection, comme souvent, enflamme la société israélienne. Le correspondant de L'Arche à Tel Aviv, Jacques Tarnov, analyse l'ambiguïté de cet engouement.

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Revue de l'Arche de novembre 1976
Le citoyen israélien, indifférent à la politique intérieure des autres nations, se passionne pour l'Amérique. Ce n'est pas toujours pour de bonnes raisons...
De notre correspondant à Tel Aviv.
Si la campagne électorale et le duel Ford-Carter qui l'a couronnée ont été suivis avec tant d'attention par le public israélien, ce n'est pas seulement du fait de la dépendance militaire, financière et politique de l'État juif envers son grand allié. C'est aussi, et peut-être surtout, parce que les Israéliens ont le sentiment que leur avenir est lié à celui d'un monde dont les États-Unis sont l'élément le plus puissant et le plus représentatif. Non pas qu'ils s'identifient absolument au système social et économique, au « mode de vie » américains; mais ils considèrent qu'un certain équilibre international, garanti par la puissance des Etats-Unis, est indispensable à la survie d'Israël. Ils manifestent donc pour l'évolution de la démocratie américaine un intérêt d'autant plus profond qu'ils se sentent directement concernés par ses perspectives. Cette solidarité n'est pourtant pas dénuée d'ambiguïté. On se souvient en Israël que les États-Unis n'accordèrent qu'un soutien incertain au projet de partage de la Palestine, dont devait naître en 1948 l'État juif. On sait aussi rappeler l'embargo général décrété par Washington lors de l'offensive arabe contre le jeune État, qui revenait en fait à livrer celui-ci aux armées arabes, équipées par les Britanniques. Chacun se souvient de l'avertissement américain qui, bien plus que les menaces soviétiques, priva Israël des fruits de sa victoire de 1956. Et si, lors de la guerre de Kippour, c'est un pont aérien américain qui fournit - non sans quelques retards, dont les causes sont encore un sujet de polémiques - les moyens de la contre-offensive israélienne, c'est précisément cette dépendance logistique de l'armée juive qui l'empêcha de pousser jusqu'au bout son avantage et transforma la victoire militaire en coup nul. Voire en défaite politique.

Méfiance et suspicion

Tout cela est présent à la mémoire de chaque Israélien. Aussi peut-on dire qu'à l'arrière plan de la solidarité indéfectible, évoquée par les discours et les communiqués officiels, demeure un sentiment de méfiance profondément ancré. Les initiatives américaines au Proche-Orient sont accueillies par l'opinion israélienne dans un climat de suspicion systématique. Les hauts fonctionnaires du State Départment sont vus - non sans raison, parfois - comme des adversaires plus ou moins avoués. On leur attribue l'intention de contraindre Jérusalem à des concessions sans contrepartie, dans le seul dessein de renforcer la position des Américains dans la région.
Il y a quelque fondement à ces craintes. Contrairement aux propagandes hostiles qui présentent Israël comme « une pièce maîtresse de l'impérialisme au Proche- Orient », il est plus raisonnable d'affirmer que si Israël n'existait pas les États-Unis ne seraient guère désireux de l'inventer. La présence de cet État est plutôt une source de gêne pour la diplomatie américaine, comme le soulignaient les conseillers du président Truman à la veille de la reconnaissance d'Israël. La capacité de manœuvre politique des États-Unis se trouve limitée, à l'intérieur du monde arabe, par l'obligation où ils sont de soutenir l'« entité sioniste ». Quant aux avantages stratégiques qu'Israël offrirait en échange, leur valeur n'est pas fermement établie.
Le fait est néanmoins qu'Israël et que son droit à l'existence jouissent d'un soutien très puissant au sein de la population américaine. Il ne s'agit pas seulement des Juifs, bien que ceux ci soient évidemment les plus actifs dans ce sens. Israël, jeune État pionnier et démocratique, constitue la projection d'un certain nombre d'idéaux qui sont essentiels à la nation américaine, dans ce qu'elle a de plus authentique. Toute atteinte à l'existence d'Israël apparaîtrait à la masse des Américains comme une trahison de leurs propres principes. Cet engagement fondamental est devenu une donnée dont les responsables américains doivent tenir compte.
D'autre part, l'État d'Israël est un fait, indépendant du regard que l'on peut porter sur lui. Il appartient à la réalité du Proche-Orient, et il est naturel que les occupants de la Maison Blanche cherchent à l'utiliser au mieux de leurs intérêts. Israël se trouve ainsi intégré à la stratégie américaine, avec les avantages et les inconvénients que cela implique. Les avantages : devenu un élément non négligeable de l'équilibre mondial tel que le conçoivent les États-Unis, Israël se voit garanti, du moins à court terme, contre les aventures militaires inspirées par une puissance adverse. Les inconvénients : le soutien américain est subordonné à une conception plus vaste, et on attend d'Israël des actes qui, même s'ils ne répondent pas clairement à ses propres intérêts, sont conformes à un « intérêt suprême » défini à Washington. Aussi longtemps que les avantages l'emportent sur les inconvénients, le gouvernement israélien doit jouer le jeu, avec l'approbation résignée de son opinion publique. Les bénéfices sont évidents dans l'immédiat. L'armée israélienne est heureuse de recevoir des matériels perfectionnés qu'il serait très difficile ou très coûteux de produire localement (bien que la négociation des listes d'achats entre le ministère israélien de la Défense et le Pentagone soit la cause de multiples conflits). Le ministère des Finances est soulagé de se voir attribuer les deux milliards de dollars nécessaires chaque année pour financer ces achats d'armes, partie sous forme de dons, partie sous forme de prêts à long terme (une bonne partie de cet argent reste en fait aux États-Unis, où il passe du Trésor américain aux fabricants d'armes). Et le ministère des Affaires étrangères a au moins la satisfaction de savoir qu'aux moments les plus difficiles il pourra compter, au Conseil de sécurité, sur la compréhension du représentant américain. Mais, de même que nul n'oublie les revirements du passé proche ou lointain, nul ne se fait d'illusion sur la pérennité du soutien actuel.

L'équilibre mondial

Aussi les spéculations sur l'attachement à Israël de l'un ou l'autre des candidats, qui n'ont pas manqué vers la fin de la campagne électorale américaine, relèvent-elles plus de l'exercice de style que de l'analyse politique. L'essentiel, du point de vue d'Israël, n'est pas le lien sentimental du président des États-Unis avec le petit État Juif; c'est la conception que l'occupant de la Maison Blanche et ses principaux conseillers ont de l'équilibre mondial dans lequel Israël doit s'insérer. Cette donnée fondamentale étant connue, il reste à Israël à tirer avantage de la situation, à insister autant que possible pour faire prévaloir son point de vue, à définir les limites des concessions que lui permet sa sécurité - en un mot, à jouer le rôle auquel, malgré les apparences, il n'a jamais renoncé : celui d'un État souverain.
JACQUES TARNOV
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