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Mémoire oubliée : Une petite famille de Filip Flatau
Par Emmanuelle Kotek | 30 juillet 2025
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Dans "Une petite famille", Filip Flatau clôt sa trilogie semi-autobiographique en troquant le poids de la mémoire pour la légèreté du quotidien. Tourné dans le village de Lagrasse, ce moyen-métrage à l’esthétique volontairement bricolée raconte comment le réalisateur a découvert ses origines juives à l'âge de treize ans.

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Affiche du film Une petite famille
Lors d’une scène intimiste tournée dans le salon d’une maison de campagne à Lagrasse, la matriarche Joanna Flatau décrit les membres de sa famille comme « des gens qui ne regardent pas très loin devant eux ». Une remarque d’une lucidité presque fâcheuse, tant elle semble résumer à elle seule l’esprit du film dont elle est issue : Une petite famille, réalisé par Filip Flatau, dernier volet d’une trilogie semi-autobiographique entamée en 2020. De retour dans le village où il passait ses étés d’adolescent, le cinéaste filme ses proches au fil de conversations légères et d’allusions discrètes à un héritage juif longtemps resté caché. La révélation de ces origines, centrale, est cependant vite reléguée à l’arrière-plan par une série de dialogues ordinaires sur l’enfance du réalisateur.
Car si les deux premiers volets de Flatau étaient consacrés à ses parents, rescapés de la Shoah, Une petite famille prend la forme d’une quête initiatique, presque psychanalytique : le réalisateur cherche avant tout à comprendre qui il est. Être juif ne semble pas, de prime abord, constituer sa première réponse. Dès Le Formulaire (le premier volet du triptyque, sorti en 2020), la judéité était abordée à travers le statut de survivants du génocide. Ce nouveau opus aurait pu être l’occasion d’élargir cette exploration, en tentant de déceler les quelques traces d’histoire juive dissimulées dans les maniérismes ou les fissures des murs. D'où le surgissement tardif de la question, dans les dix dernières minutes du film : ce récit ne sera ponctué d'aucune discussion à la lueur d’une menorah ou de scène de repas autour d’une carpe farcie. Loin des représentations attendues de la famille juive archétypale et névrosée — que ce soit chez Woody Allen ou, plus récemment, Jesse Eisenberg dans A Real Pain — ce moyen-métrage préfère s’attacher au quotidien d’un trio étonnamment « normal », plus proche des vacanciers détendus du Rohmer des années 1970 que de personnages hantés par une mémoire collective. Le film s’organise plutôt autour de moments simples : quelques coups de téléphone à sa femme, des silences parfois embarrassés, et une certaine forme de banalité assumée.
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Photogramme du film Une petite famille
Cette simplicité du quotidien est renforcée par un amateurisme revendiqué, proche du found footage. Une petite famille donne l’impression d’avoir été exhumé d’un vieux carton oublié, renfermant les souvenirs intimes d’inconnus — comme si le film avait échappé à toute intention de diffusion publique, pour ne conserver que la trace d’un vécu intime et personnel. La caméra portée, souvent tremblante, filme des instants qui semblent à la fois captés sur le vif et mis en scène : à plusieurs reprises, on entend d’ailleurs Flatau donner des indications à ses parents ou répéter certaines répliques. Loin des métonymies d'une Chantal Akerman ou d'un De Sica, il n'en demeure pas moins une œuvre humble, marquée par le charme d'une esthétique indépendante, proche du home movie. Que le cinéaste recherche la candeur ou exerce un certain contrôle, il en résulte un objet fragile, qui touche moins par son propos explicite que par ce qu'il laisse filtrer à la marge.
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  Photogramme du film Une petite famille
Le film trouve ainsi une autre voie par rapport aux deux précédents de la trilogie : loin désormais les témoignages face caméra, les visites de lieux oubliés et les photographies poussiéreuses, ici remplacés par de longs plans contemplatifs sur des paysages naturels et des cascades. D’un festival de musique à une partie de pétanque sous le soleil, Une petite famille raconte finalement moins l’histoire d’un individu que celle d’un lieu, voire d’un écosystème. Le village de Lagrasse y devient le véritable protagoniste, où la nature cesse d’être un simple décor pour s’imposer comme une présence vivante. Par ses entretiens avec des habitants ordinaires et ses scènes de vie quotidienne, le film offre au spectateur une méditation sur l’attachement à la terre, remplaçant ainsi les racines juives par les racines véritables d’une forêt bordant une maison de campagne. C’est ce subtil glissement documentaire qui constitue le cœur d’Une petite famille : un cinéma de l’infra-ordinaire,  qui fait résonner la vie des territoires à travers les gestes et les lieux.
Le film sera diffusée sur France 3 ce soir à 00h25, le 7 août à 02h10, et le 11 août à 03h40, et sera disponible en replay sur France tv du 09 juillet au 30 août.
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