L'arche
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Judaïsme et sionisme par Gershom Scholem
Par Gershom Scholem | 01 octobre 1975
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Cette semaine, nous mettons en lumière un débat intellectuel qui s'est tenu dans les pages de l'Arche en 1975. Comment penser le maintien de la condition juive diasporique après la création de l'État d'Israël? De quelle manière l'existence de l'État juif affecte-t-elle la Diaspora? Comment ces deux pôles juifs sont-ils imbriqués? Deux éminents intellectuels ont pensé de manière opposée cette question: le linguiste franco-américain George Steiner et le philosophe israélien d'origine allemande Gershom Sholem.

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Revue de l'Arche d'octobre 1975
Les intellectuels israéliens sont-ils incapables de délivrer un message de portée universelle? Le professeur Scholem répond ici aux affirmations de George Steiner et expose ses vues sur l'essence du judaïsme, dont la fécondité est liée à l'enracinement sur le sol ancestral et à la reconstruction d'un foyer national.
Ben-Ezer : Depuis quelques années, on entend dire, en Israël et dans le reste du monde juif, qu'il y a une différence entre les intellectuels juifs occidentaux et ceux qui vivent en Israël. L'intellectuel israélien est-il réellement incapable d'apporter un message hors de son petit monde? La perte de l'aliénation féconde et de la disposition critique est-elle une partie du prix que nous payons pour l'accomplissement du sionisme? C'est ainsi que le professeur George Steiner considère, lui, sa qualité d'étranger et son aliénation comme une mission et une fin. Qu'en pensez-vous?
Scholem : La vraie question n'est pas le prix du sionisme, mais bien plutôt le prix de l'exil. Je n'ai rien contre George Steiner : il essaie de vivre hors de l'Histoire, tandis que nous, en Israël, nous assumons une responsabilité dans l'Histoire. Il y a toujours eu, cela dit, des reproches contre le sionisme, et les sionistes ont toujours été, au sein du peuple, une minorité. Ce n'est qu'après l'Holocauste que les récriminations se sont tues, pour un temps.
Nous avons payé très cher le fait d'avoir été étrangers pendant les 2 000 ans de notre exil, un prix de haine, de persécution, de massacre et de martyre. Actuellement, l'étranger est à la mode en Occident, et l'intellectuel juif semble y trouver un avantage. Mais que va-t-il arriver demain? Cette condition juive d'étranger ne va-t-elle pas lui être jetée dédaigneusement à la figure?
En France et en Allemagne, c'était un chic, pour les Juifs, d'y être nés, de cesser d'être étrangers. La formule était : un Allemand de religion mosaïque. En ce temps-là, les Juifs se vantaient de leur appartenance, pas du tout de leur « étrangéité ».
Si, de nos jours, vous, intellectuels israéliens, êtes fascinés par le charme unique des intellectuels juifs de la Diaspora, je dis : libre à vous. Allez-y donc. Vivez chez eux pendant cinq ans, et vous verrez quel prix ils paient pour leur exil.
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Gershon Scholem
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George Steiner
Une humanité planétaire, ça n'existe pas...
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L'UNIVERSITÉ DE TEL AVIV - Toute génération interprète le judaïsme pour elle-même...
Ceux qui se sentent entravés en Israël devraient aller à New York ou à Cambridge, et voir s'ils vont s'y sentir aussi merveilleusement bien que George Steiner.
Pour ce qui est des reproches des intellectuels qui ne souhaitent pas s'intégrer à une nation quelconque, je les ai entendus il y a 60 ans. On me regardait de haut parce que j'appartenais au mouvement sioniste. Ces questions ne sont pas nouvelles; George Steiner ne les a pas inventées. Nous les avons entendues dès avant (et après) la guerre de 1914.
Il y a cinquante ans, ma position était proche de celle de Ahad Haham. Herzl voulait réaliser la fondation d'Israël au moyen d'une action politique très étendue. Le sionisme pratique, selon les vues d'Ahad Haham, était, lui, conçu principalement comme une résurrection juive interne, basée sur une société juive édifiée en Palestine. La résurrection est essentielle pour le peuple juif, car elle porte avec elle son espoir de nouveauté. Sans quoi, le judaïsme va dégénérer. C'est pour cela que j'ai émigré, parce que je pensais que le judaïsme et le peuple juif sont précieux. Je voulais que ce peuple survive. Je ne croyais pas en l'assimilation, ni aux reproches des intellectuels juifs, lesquels étaient exactement ce qu'ils sont aujourd'hui. Ils nous disaient : « Qu'est-ce que vous allez créer là, somme toute? Encore une petite nation, alors que nous, nous nous intégrerons bientôt dans l'évolution mondiale. »
Je n'ai pas de raison de controverser avec George Steiner. Une discussion avec lui n'admet aucune possibilité de conclusion logique et rationnelle. La conclusion ne peut être que morale, car aucune des deux positions n'est logique. Tel est le sens de l'Histoire. C'est pourquoi je n'ai jamais cru en une discussion avec des Juifs de la Diaspora que l'Agence juive amène ici pour des congrès. Je sais que rien n'en sortira. La logique de Steiner est celle d'une récrimination intellectuelle qui ne souhaite pas abandonner son attitude ostensiblement « ouverte ». Eh bien, même alors, il y a plus de 60 ans, ne parlaient-ils pas contre le sionisme, cause mesquine?
Pour parer à ce reproche, nous répliquions : « Qu'est-ce que c'est que cette cause aux dimensions du monde, à laquelle vous croyez et dons vous parlez tant? Allons, pas un gentil ne parle de la sorte. Il n'y a que vous. Une humanité planétaire, ça n'existe pas, sinon dans vos imaginations. » Aujourd'hui, voilà la même chose qui recommence.
Comment osez-vous dire que l'intellectuel juif israélien, étant partie prenante dans l'« Establishment », en devient incapable d'une position radicalement critique? Je déteste ce mot : « Establishment ». Mais si vous tenez à l'employer, je vous ferai remarquer que je fais partie de l'« Establishment », et vous aussi. Tous, ici, nous en sommes, y compris ceux qui s'en moquent. Si quelqu'un ne veut pas en être qu'il s'en aille. Parce que, aujourd'hui, l'« Establishment » se trouve sur le canal de Suez. Si quelqu'un n'est pas content, qu'il s'en aille. Je n'ai rien contre un intellectuel juif qui donne à ses complexes émotionnels personnels priorité sur le problème de la responsabilité historique. Que chacun fasse ce qui lui plaît. Discuter avec lui est illusoire.
Si Steiner ne tient pas à porter avec nous le fardeau de la responsabilité envers l'État, il a raison. Qu'il reste un Juif en exil. Il est possible qu'un jour il reçoive un coup sur la tête, et se rende compte alors qu'il n'est pas réellement de là. Car se faire « étranger » n'est pas simplement une pose du beau monde destinée à faire impression, mais aussi une réalité historique extrêmement amère, que l'on paie au prix fort.
Ben-Ezer : Vous avez dit que dans le débat avec l'intellectuel juif de l'étranger il n'y a pas de conclusion logique, mais que seule une résolution morale est possible. Quelle est cette conclusion morale?
Scholem : Le sens de la conclusion morale de l'intellectuel est qu'il se sentira concerné d'abord et avant tout par ses complexes émotionnels, et ne pensera qu'à poursuivre son propre itinéraire privé. Mais la question morale universelle est de savoir si un ensemble de plusieurs millions d'hommes qui ne sont pas que des intellectuels, mais un peuple complet et varié, peut vivre de cette manière. Par nature, l'intellectuel ne recherche pas un avenir communautaire. Il est fasciné par son propre isolement. Peut-être celui qui est ainsi incapable de surmonter son besoin de solitude intellectuelle a-t-il raison? Mais la question se place dans la sphère de la responsabilité commune envers le judaïsme. Je constate que le peuple juif est éminemment vivant. Je ne me considère pas comme aliéné de ce peuple. Mon sentiment est que ma place est ici, et c'est pour cela que j'y suis. Pour moi, l'émigration a été une question de décision d'ordre personnel et général. C'est pour cela que je l'ai faite dès les années 20, avant Hitler et avant le problème économique. Je l'ai fait non pas parce que je n'étais pas capable de lutter en Allemagne, mais parce que j'avais décidé que ma place était ici, comme individu, et comme membre du peuple juif. La résolution dépend donc de chaque individu, à titre personnel, pour autant qu'il soit capable de dominer son propre destin. Pense-t-il qu'il a quelque chose de commun avec son propre peuple, ou considère-t-il la condition étrangère comme une valeur suprême? Je ne crois pas à cette dernière possibilité. Le concept de « condition étrangère » est capricieux. La mode en avait atteint le point culminant il y a dix ans. Or, le jour peut encore venir où nous, Juifs, serons malmenés parce que nous sommes des « étrangers », et en paierons le prix fort. Par exemple, ne pensez-vous pas que nous paierons cher la malice prêtée à l'attitude du Juif envers les femmes des gentils, dans « Portnoy's Complaint » de Roth?
Ben-Ezer : Une des prétentions du sionisme était qu'il devait assurer la survie du judaïsme. Quelle est alors la supériorité d'un État sioniste pour ce qui concerne le problème fondamental de la survie juive? Brutalement posée, la question est la suivante : quel est l'avantage d'un ghetto armé au Moyen-Orient, quelles qu'en soient les frontières, objet de haine pour tous les voisins, sur la vie juive de la Diaspora, au prix de quelques manifestations sporadiques d'antisémitisme, mais peut être sans danger d'anéantissement prévisible, et sans cette tendance inexorable qui menace notre survie physique en ce pays? Là encore, le prix n'est-il pas trop élevé?
Scholem : Vous ne m'entendrez jamais dire que le sionisme pourrait être une solution de la question juive. Je ne suis pas de ceux qui croient qu'il y a une solution à la prétendue « question juive ». Si, résolument, et avec les yeux ouverts, vous entrez dans la lice de l'histoire, vous aurez à lutter. Nous avons aussi été cause de la consolidation du monde arabe, en tant qu'ennemi doté d'une conscience nationale commune, car nous avons exercé une action dans l'Histoire.
Il m'est difficile de comprendre ce complexe d'infériorité qui vous tracasse. Pourquoi vos questions contiennent-elles un élément de dépréciation personnelle devant l'intellectuel juif de la Diaspora? Qu'est-ce qui vous empêche de vivre pleinement votre vie?
Ben-Ezer : La guerre continue; avoir à considérer la plus grande partie de ma vie - exactement comme le reste de ceux de ma génération, ici - en terme de service militaire et de rappel réserviste annuel; ou, pour mieux dire: un service militaire intermittent, mais perpétuel. S'installe de la sorte une sensation d'étouffement et de siège. Il est difficile à un Israélien de se cantonner dans son coin et de se sentir libre de s'adonner à une activité intellectuelle créative.
Scholem : C'est ça? Fantastique! Comment se fait-il que moi, je ne le ressente pas?
Ben-Ezer : Je ne sais pas. Peut-être parce que vous avez choisi d'émigrer, tandis que nous sommes nés dans une certaine réalité historique, et sommes condamnés à y vivre, bon gré mal gré, que ce soit avec une conscience sioniste, ou toute autre raison. Peut-être parce que ma génération, ici, s'est vu enseigner que le sionisme résoudrait la question juive. On nous a dit que l'existence juive en Diaspora est fondamentalement mauvaise et négative, et que c'est pour cela que le peuple juif tout entier a subi toutes ses tribulations. Mais ici, en Israël, grâce au sionisme, l'existence du peuple s'était normalisée; une génération nouvelle, saine, croissait; et cela aurait dû nous sécuriser contre les malheurs passés de la Diaspora. Chaque fois, la haine des Arabes a détruit à nouveau le rêve et la promesse sioniste dans lesquels nous avions été éduqués, et nous fait parfois nous demander si le prix du sionisme est inférieur réellement à celui de l'exil.
Scholem : Si vous dites que l'éducation sioniste avait pour but de promettre à la jeune génération, la vôtre, une « normalisation » et une solution à la question juive, une sorte de Paradis sur terre, alors mon avis est que cette éducation était fausse. Je suis, bien sûr, un sioniste, mais pas un naïf. Mon sionisme est articulé sur le fait fondamental que sans le sionisme le peuple juif ne peut survivre. Mais je n'ai jamais pensé que la survie serait sans problème. Il n'y a pas de solution à la question juive, de notre temps. Le sionisme est un noble essai de confrontation avec le problème juif. Or, en ce monde, devant un problème posé au niveau historique, il est impossible de faire plus que de lutter. Les sionistes n'ont pas eu peur d'assumer une responsabilité historique, et c'est là leur grandeur. Il n'y a rien, dans l'Histoire, dont on ne doive payer le prix.
Je suis venu ici parce que je pensais, et je pense encore, que le sionisme n'est pas un mouvement messianique, absolument pas. Bien sûr, on y trouve, à l'arrière-plan, certaines tensions messianiques. Une sorte de mélodie, comme en harmonique, accompagne le sionisme, car les Juifs se sont adonnés au messianisme pendant 2 000 ans. Mais le prix du messianisme, au sujet duquel j'ai écrit, aura été une faiblesse fondamentale de notre histoire, un prix terrible. Notre foi dans le concept messianique nous a coûté quelque chose de la véritable substance du peuple juif, en débilitant ses puissances de survie, comme dans le cas de Shabbataï Zvi.
En ce sens, la critique des Juifs orthodoxes envers le sionisme était justifiée. Les sionistes, en fait, se sont révoltés contre leurs grand-pères qui disaient qu'ils avaient à attendre le Messie, et à ne pas agir dans l'Histoire... Les sionistes, eux, avaient raison, en ce sens qu'ils n'étaient plus prêts à payer le prix de l'effrayante faiblesse fondamentale du peuple juif exilé.
La différence entre sionisme et messianisme réside dans le fait que le sionisme agit à l'intérieur de l'histoire, tandis que le messianisme demeure sur un plan utopique. Pour le Juif orthodoxe, le peuple ne pouvait pas être en même temps en exil et dans une situation messianique. Mais pour un Juif non-religieux, il en va autrement. Une situation peut surgir où le prix de l'exil sera payé sans messianisme. Cela veut dire que le prix de l'exil et celui du messianisme ne sont pas nécessairement toujours identiques.
Je crois que le sionisme s'est réellement révolté contre quelque chose. Évidemment, cela vaut son prix. La haine des Arabes contre nous n'est pas celle d'Hitler. Elle a pour base un intérêt concret que nous avons lésé. Par exemple, Weizmann savait très bien que leur cause était juste. La question est de savoir si nous sommes capables de tenir jusqu'à ce que nous en arrivions à traiter avec eux.
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OFFICE DE KIPPOUR - Nous sommes tous des porteurs de torche...
Ben-Ezer : En plusieurs endroits de vos écrits, vous vous êtes défini comme un utopiste dans votre position envers l'histoire juive, un anarchiste au point de vue de la religion juive, un sioniste dans votre propre perspective. Quelle est votre perspective sioniste, et comment se concilie-t-elle avec les deux autres attitudes?
Scholem : Le sionisme n'a jamais su réellement s'il est un mouvement de continuité ou de révolte. Depuis le tout début de son évolution, le sionisme a présenté deux tendances parfaitement contradictoires. Tant qu'il n'a pas été mis en chantier, ces deux mouvements ont pu vivre ensemble pacifiquement, comme deux livres qui se contredisent peuvent se trouver l'un à côté de l'autre sur la même étagère. La question est : avions-nous l'intention d'altérer fondamentalement le phénomène appelé judaïsme, ou de le poursuivre?
Depuis le début du sionisme, ces deux éléments y ont été confondus et opposés à plusieurs points de vue. Les conflits étaient définis théoriquement avant même d'entrer dans la réalité. La partie la plus active du mouvement penchait vers une révolte et une remise à neuf intellectuelle du judaïsme. Toutefois ils parlaient de mutation, non point de nouveau départ.
D'autres disaient que le sionisme est une réalisation du judaïsme traditionnel. Il fournirait l'occasion de réaliser ici cette vie que le milieu exilique avait déparée. Depuis le début, ces deux possibilités furent incorporées dans l'organisme vivant appelé sionisme. Le mouvement sioniste ouvrier en Palestine, avec toutes ses factions, était absolument anti-traditionnel. Actuellement, nous essayons d'oublier le mordant anti-religieux de leurs écrits et de leurs discours, car ils ont eux-mêmes oublié, ou veulent oublier, et leur langage et leurs opinions d'alors.
On ne peut ignorer cette réalité fondamentale. Aujourd'hui, nous devons, en en payant le prix, affronter le fait que le conflit entre les deux éléments a agité tout le monde juif aussi bien que le sionisme. En Diaspora comme en Israël, c'est la même dialectique : le choix à faire entre une assimilation totale ou partielle et une revitalisation interne du judaïsme. En Diaspora, cela s'exprime d'une part sous la forme d'un mouvement national juif pro-Israël, d'autre part dans le phénomène de la fuite d'intellectuels juifs loin du centre. A l'opposé existe un mouvement vers une concentration juive consciente, qui souhaite une résurrection juive en Israël. Le problème est de savoir si l'on va rompre, ou non, consciemment, avec la tradition. Ce sont là des développements qu'on aurait pu prévoir.
Je n'ai aucun reproche à faire aux Juifs orthodoxes non-sionistes. Actuellement, on essaie de présenter les choses comme si tous les Juifs religieux avaient été sionistes. On ne devrait pas discréditer les « Mizrahi », qui envisageaient une synthèse du sionisme et de la religion. Mais on leur opposait les orthodoxes (90 % des Juifs religieux), radicalement hostiles au sionisme. De nos jours circule à ce propos un mensonge conventionnel, une falsification de l'Histoire. On nous dit que le hassidisme était sioniste. Ce n'est pas vrai. Ils étaient fidèles à l'étoile sous laquelle ils étaient nés : réconciliés provisoirement avec la Diaspora, jusqu'à la venue du Rédempteur. Au début, il y en avait à peine 1 % qui avaient un penchant pour nous. Je n'ai rien contre les Neturei Karta et les gens de leur genre, tels que le rabbin Satmer. Ils sont logiques. Mais la majorité des religieux s'est adaptée à la nouvelle réalité qui résulte du sionisme. C'est là que vous pouvez mesurer la dimension de la victoire sioniste. Car tous ces éléments qui haïssent le sion isme sont en train de s'y adapter. Tout cela parce que le sionisme a été un mouvement dynamique. Prenez le cas du Rabbi de Lubavitch. Ses prédécesseurs étaient des ennemis déclarés du sionisme. Actuellement, s'ils ne sont pas tombés d'accord avec nous sur le plan idéologique, en pratique ils nous laissent la paix.
Le sionisme a été une part vitale du peuple juif, pas seulement une force d'endurance. Mais la jeune génération d'ici oublie combien le sionisme a été dynamique, oublie sa volonté - ou la nécessité - de se dresser nu devant l'Histoire, de s'embarquer dans une aventure. Il est clair que le conflit entre continuité et rébellion est un facteur déterminant dans la destinée du sionisme, déterminant dans la mesure où nous sommes capables de déterminer notre destinée par nous-mêmes. On doit savoir qu'il y a dans le sionisme des tendances contradictoires, et que, pour l'instant, il n'y a point entre elles de synthèse. Chose sûre : après l'Holocauste, les rebelles du mouvement ouvrier sioniste ont découvert qu'ils étaient les porteurs de la torche. Ils ont compris la valeur de la continuité.
Je dis, moi, qu'il n'y a pas de conflit. Nous sommes tous des porteurs de torche. Sauf les Cananéens. Mais je crois que le judaïsme est une réalité vivante qu'on ne peut réduire à une définition dogmatique. Tandis qu'une innovation peut être définie d'avance. Car elle surgit non du rejet de sa tradition, mais d'une dialectique, d'une mutation de cette tradition. Et ces deux tendances ne sont pas encore au bout de leur course.
J'ai dit que toute génération interprète le judaïsme pour elle-même, ce qui implique qu'on ne peut présenter du judaïsme une définition conclusive. J'ai dit cela comme une définition totalement antithéologique, en opposition aux tendances dogmatiques que je ne partage pas. Est-ce que, parce que durant un temps, disons, de 500 avant notre ère jusqu'au début du XIXe siècle, un judaïsme a existé, qui s'est fixé, est-ce pour cela que nous ne pouvons en adopter un autre?
Le critère doit être : quelles sont les manifestations vivantes de la puissance nationale qui se sont succédées à travers les âges, et qui sont encore en train d'émerger et de prendre forme? Le judaïsme ne se définit pas par la religion, bien que ce soit là le souhait de la fraction religieuse, conception que je ne partage pas. En général, je crois qu'un phénomène historique ne peut être défini qu'en fonction de l'Histoire. Ici, il n'y a pas de contenu réellement uniforme. Le judaïsme du temps d'Abraham ou de Moïse, qu'a-t-il à voir avec le Baal Shem Tov? Le phénomène appelé judaïsme ne se termine pas à telle date, en telle année, et je ne crois pas qu'il se terminera jamais tant que le judaïsme restera vivant. Si vous réclamez une formule précise de définition, je conviens que je suis incapable d'en donner une. C'est là l'affaire du Tout-Puissant. Si nous savions comment formuler une définition, ce ne serait pas à un phénomène spirituel d'ensemble que nous aurions affaire, mais nous nous trouverions en face d'une masse, dont la vitalité serait déterminée par la définition! Je rejette cette conception. Je dis que dans le cours de toute la vie et des générations, des tendances extrêmement divergentes sont nées dans le judaïsme. Je ne crois pas qu'il ne puisse plus en apparaître de semblables dans le futur. En tous cas, il existe quelque chose de vital, qui échappe à toute définition dogmatique. En d'autres termes, le judaïsme contient certains aspects utopiques non encore manifestés. C'est là le terme que j'emploie pour désigner la force vitale dont je viens de parler.
Certains de ces aspects utopiques concernent le passé, par exemple la Knesseth Israël (l'Assemblée juive). Je ne crois pas que tout ce que cette réalité signifie a déjà été découvert. Il me semble qu'il est encore possible de découvrir en elle des choses cachées de haute valeur, qu'on n'a pas encore aperçues. Ma croyance en un judaïsme vivant est fondée sur cette conception. Certaines manifestations ont été découvertes, et ont pris forme historique; d'autres filtrent, celles qui semblent promettre une gloire future. Il nous est défendu d'aller au-delà de cela. Nous ne prenons pas parti contre les tendances contradictoires, nous n'affirmons rien, ne nions rien. Et nous ne dirions certainement pas, comme le voulaient les critères de la tradition rabbinique, que ce côté-ci a raison, celui-là a tort. Il suffit de lire les manuscrits de la mer Morte pour comprendre qu'on ne peut insérer la réalité juive dans les définitions des auteurs du Code rabbinique. Là aussi il y avait un judaïsme vivant; pourtant il a été éliminé. Le fait historique que d'autres courants l'ont dominé ne le prive pas de sa judéité. Allons-nous dire que les Sadducéens n'étaient pas juifs, mais que les Pharisiens l'étaient? Ce serait absurde; je ne marche pas dans cette manière de voir.
Pour ce qui est de l'avenir, je suis certain qu'il y aura des manifestations du judaïsme en tant que phénomène national-spirituel. C'est là un des aspects utopiques orientés vers le futur. Si j'avais à enseigner la jeunesse, je professerais l'Histoire d'après ma croyance en un judaïsme vivant. Je leur dirais qu'ils n'en ont pas encore apprécié toutes les valeurs, et que ses manifestations n'ont pas cessé de se produire parce que, en telle ou telle année, a paru le Shulkhan Aruch, ou a été rédigé le Programme de Bâle. C'est cela que je désigne par l'expression : « contenu utopique ». De nombreuses choses de ce genre ont été fixées dans le passé, et se répéteront à l'avenir, peut-être avec un regain de vitalité.
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Traduit de l'anglais par G. Passelecq d'après « Unease in Zion »Éditions Quadrangle/The New York Times Book Co. Jérusalem Academie Press.
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UN MOSHAV DANS LE NEGUEV - Pour nous, la Galouth était une malédiction...

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