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Trancher, le seul-en-lit de Sophie Engel
Par Moïshe Pipik | 25 novembre 2025
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« Trancher » est un seul-en-scène de Sophie Engel. Un seul au lit, peut-on dire, puisque c'est sur un lit chahuté par ses conflits que Sophie nous raconte ses malheurs et ses débats.
Me revient, au sortir de ce spectacle, la figure d'Isaac Deutscher, le biographe de Trotski. Isaac Deutscher (1907-1967), issu d'un milieu hassidique, fut un enfant prodige, déjà rabbin à l'âge de treize ans. Mais ses lectures et ses réflexions le poussent à la rupture avec la loi juive. Par défi, le jour de Yom Kippour, il mange un sandwich au jambon sur la tombe d'un rabbin vénéré et attend fébrilement. Il a peur. Rien ne se passe.
Son épouse, Tamara Deutscher, écrit : « Isaac racontait toujours cette anecdote avec beaucoup d’émotion. Le repas impie sur la tombe du rabbin, le sacrilège, l’irréligion, ses propres craintes, la foi et l’incroyance, tout cela n’était que le point culminant d’un processus entamé depuis longtemps, qui le conduisait à l’athéisme complet. Mais, ce soir-là, ce n’était pas Dieu qu’il tournait en dérision : c’était ses parents qu’il trompait. Voilà pourquoi les aliments, la honte, les larmes, tout cela serrait la gorge du jeune criminel. »
Le personnage de Sophie Engel étouffe sous l'emprise religieuse familiale. Cette famille est pourtant ouverte au monde et à ses lumières, mais elle ne cesse de marteler l'interdit de l'exogamie : on parle avec tout le monde, mais on ne couche pas avec un goy ! Altérité, schmaltérité, tant qu'on aime ses parents ! C'est douloureux et obsédant. Pour tout le monde.
Sophie et son personnage nous racontent leur lutte pour sortir de la force des injonctions et pour s'appartenir, arriver à être à soi. Ils nous narrent comment ils vont virer ce dibbouk inquisiteur, qui a pris la figure du monstre du Loch Ness... mais les dibbouks s'autorisent tout ! Sophie use d'un humour dévastateur et n'épargne pas la brochette de fiancés potentiels avec lesquels elle n'ira pas sous la houppa ! Ouf ! Mazel tov !
Le titre du spectacle de Sophie Engel est « Trancher », mais elle nous dit durant la représentation qu'elle a hésité à le baptiser : « La confession de la femme juive qui a eu des relations sexuelles avec des goys et qui ne pourra plus jamais épouser des Cohen » ! De toute façon, avec un tel titre, elle n'aurait jamais obtenu le certificat Casher du Beth Din.
Moi, je lui aurais donné même un stample Casher le Pessa'h, car c'est le récit d'un chemin de liberté dont elle nous entretient.
Moïshe Pipik
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