Revue de l'Arche de novembre 1976
Cette résolution assimilant le sionisme au racisme et adoptée, il y a juste un an, par le Conseil des nations, on peut la juger comique.
Il est surprenant, en effet, d'entendre crier à la vertu cette étrange Sainte Alliance : Amin Dada, qui a expulsé 80.000 Indiens, les Russes, qui envoient leurs opposants dans les asiles psychiatriques, et les Arabes, qui ne supportent parmi eux aucune minorité, sans compter les fusilleurs franquistes, et Pinochet qui massacre les Chiliens.
On peut, surtout si l'on n'est pas israélien, hausser les épaules et dire, comme Shakespeare: « Words, words, words... »
Je crains que l'affaire soit plus sérieuse, et plus significative.
Il y a quelques années, ayant à définir le racisme pour une encyclopédie, j'en avais proposé
deux sens. Un sens étroit : l'utilisation à notre profit de différences biologiques, vraies ou
fausses, pour dévaloriser un groupe humain. Un sens large : le refus des autres, sous le prétexte de n'importe quelle différence : biologique, psychique, culturelle ou même métaphysique. Le racisme au sens biologique n'est, on le voit, qu'un cas particulier d'un mécanisme
plus vaste d'affirmation de soi au détriment des autres; ce que j'avais d'ailleurs proposé
de nommer plutôt « ethnophobie ». De toutes manières, racisme ou ethnophobie, c'est une
démarche bien commode.
Au sens biologique, c'est évidemment absurde. Israël est, avec les U.S.A., la nation la plus mêlée du globe; plus de la moitié de sa population se compose de Juifs orientaux. Il ne pourrait ni s'affirmer grâce à une biologie spécifique, ni refuser les Arabes pour leur biologie différentielle. Cependant, dans un domaine où règnent le mythe et les préjugés, il aurait pu le faire contre toute évidence. Mais il ne l'a pas fait : aucun idéologue sioniste, aucun dirigeant israélien n'a jamais soutenu une telle doctrine. Bref, en fait comme en droit, il est impossible d'assimiler le sionisme au racisme.
Est-ce à dire que l'État d'Israël, issu du mouvement national juif, ne tient pas les autres
à distance? Bien sûr que si; mais au nom de différences culturelles et religieuses. Pour
construire son être collectif, il est amené à le distinguer des autres êtres collectifs. Mais c'est
ce que font toutes les nations. Si Israël mérite un blâme, alors tout le monde le mérite également. De toutes manières, l'accusation de racisme ne convient pas.
Alors, sommes-nous en plein délire? Je ne le crois pas davantage. Qu'a fait l'O.N.U., du
moins dans sa majorité? Pour condamner Israël, elle l'a singularisé d'entre les nations : elle
l'a accusé de différences imaginaires : c'est-à-dire qu'elle a eu, envers lui, exactement une
conduite ethnophobe. Accusation plus perverse encore, puisqu'elle accuse Israël de ce qu'elle fait à son égard et l'accuse même de racisme biologique.
On n'a pas assez pris
garde qu'Israël n'est pas seulement accusé de racisme, mais d'impérialisme et de colonialisme; l'U.R.S.S. a même ajouté : nazisme. Or, ces trois traits sont les trois péchés capitaux du monde contemporain. Tout État convaincu d'en être coupable mérite de disparaître.
Les Arabes poursuivent obstinément un plan de liquidation par étapes de l'État juif: la dernière résolution de l'O.N.U. est l'une de ces étapes. En stigmatisant Israël comme le mal
absolu, ils cherchent à légitimer, moralement et politiquement, sa destruction. C'est bien
ainsi qu'opère le raciste : en dévalorisant sa victime, il justifie d'avance son agression.
L'accusation raciste est l'amorce d'une conduite.
Mais les autres? Pourquoi ont-ils suivi les Arabes dans une voie qui les déshonore logiquement et historiquement? Passons sur la soif du pétrole, les nouveaux clients des dollars arabes et les calculs de la géopolitique russe. Mais le racisme et l'ethnophobie apportent encore leur contribution. Si Israël est raciste, alors Amin Dada ne l'est plus, ni Pinochet, ni les Russes. On peut même avancer une hypothèse supplémentaire. Les difficultés des jeunes nations restent considérables. Avant la décolonisation, elles pouvaient expliquer leurs embarras par la présence du colonisateur. Maintenant, il faut trouver autre chose : l'Etat juif, devenu le Juif des nations, pourrait continuer à jouer le rôle traditionnel de bouc émissaire.