L'Arche
Article - L'Arche
Que veulent les femmes ? Que veulent les Juifs ?
Par Elisabeth Fontenay-(De) | 10 janvier 1984
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Revue de l'Arche d'octobre 1984
À l'occasion de la journée consacrée aux droits des femmes (8 mars), nous partageons un article de l'Arche de 1984. La philosophe Elisabeth de Fontenay y examinait le conflit entre judaïsme et féminisme dans lequel les femmes juives sont prises et critique les simplifications qui opposent ces deux luttes.
On aura deviné que le judaïsme et le féminisme ne font pas bon ménage. Ils font même si mauvais ménage que des êtres humains, concernés pourtant par l'un et l'autre, peuvent être tentés de filer à l'anglaise, de congédier ces visions du monde sans concession, de renvoyer dos à dos l'orthodoxie obstinée des uns et les outrances provocatrices des autres. Je n'entends pas, bien entendu, instituer une analogie entre le devenir long, continu de la tradition juive et la courte, sporadique histoire des revendications féministes. Il n'est pas question, non plus, car cela manquerait de pertinence historique et sociologique, cela manquerait aussi à l'exigence éthique et politique, de comparer ces deux minorités opprimées que seraient les Juifs et les femmes. Les femmes constituant la moitié du genre humain, - ce qui n'est malheureusement pas encore le cas des Juifs ! - représentent plutôt, et de manière spécifique, une majorité minorisée par une autre majorité. Ces restrictions étant faites, on ne peut pas éluder la question de l'antijudaïsme sommaire de la plupart des mouvements féministes et de la brutale allergie des hommes et des femmes soucieux de leur tradition juive à presque toutes les formes prises par le féminisme depuis près de vingt ans.
Partir sur la pointe des pieds et sans laisser d'adresse afin qu'ils, afin qu'elles ne puissent plus vous convoquer aux séances de leurs antithèses, voire de leurs synthèses, fuir loin de ces redoutables ismes, quelle tentation ! Des femmes la connaissent, cette tentation, et la repoussent, tourmentées par leur appartenance à deux communautés de destin. Mais si l'on demeure dans l'ambiguïté, c'est-à-dire à 'l'écart de l'affrontement entre les positions extrêmes, voici que les pratiques et les discours se compliquent singulièrement et que toutes sortes de menaces se mettent à peser. Suspectes, du côté des féministes, les courageuses entre-deux risquent l'anathème du côté juif. Faut-il rappeler les réactions négatives, injurieuses même de certaines personnalités de la communauté lorsque parut, il y a cinq ans, un numéro spécial des Nouveaux Cahiers entièrement pris en charge par des femmes ?
La difficulté de la condition, la complexité des analyses apparaissent de manière franche et discrète, loin de la confusion et du bruit, dans le beau livre de Catherine Chalier : Figures du féminin, qui porte en sous-titre, « Lecture d'Emmanuel Lévinas ». Catherine Chalier s'attache - je puis seulement signaler ici le lieu et le style de sa méditation - à cette métaphore de la féminité qui prend en charge le thème le plus insistant de la philosophie de Lévinas, celui de l'altérité. La féminité figure en effet cette tendre et violente altérité qui a puissance de décontenancer la maîtrise du même et de placer au-dessus de l'ontologie l'ordre de la responsabilité. Mais si la féminité comme figure laissait les femmes réelles hors de l'éthique et méconnaissait l'effectivité de leur destin ? Telle est, en substance, la question posée à celui qui est doublement le maître, par l'élève, par quelqu'un de beaucoup moins malheureux et de beaucoup plus dangereux que Yentl. Car si c'est cela, au mieux, le statut de la femme dans le judaïsme, et même si Lévinas, avant Schmuel Trigano, nous apprend, nous rappelle l'étymologique féminité de Dieu - rakhamin miséricorde, vient de rekhem, utérus- il reste que l'instance judaïque ne se laisse pas immédiatement reconnaître par celles qui ont découvert, grâce aux luttes, l'autonomie et l'égalité.
Les vies ne peuvent se réconcilier et les pensées débattre qu'à l'écart de cette joute vulgaire, judaïsme contre féminisme, féminisme contre judaïsme, qu'ont menée de faux ennemis remplis d'identiques arrière-pensées. Féministes antijudaïques et machistes philojudaïques mènent en effet, malgré les apparences, le même combat, puisqu'ils opposent une conception judéo-patriarco- lacanienne de la loi à une conception matriarco-païenne de la fusion avec la nature : Dieu le père contre la déesse-mère, et vice versa. Il y a de l'infâmie à dénoncer le judaïsme au nom du féminisme, il n'y a pas moins d'infâmie à se servir du judaïsme - surtout quand on l'a découvert récemment - pour accabler les féministes et rabaisser les femmes. Je crois utile de noter que lorsque je parle de judaïsme récent et d'avilissement des femmes, ce ne sont plus certains membres du Consistoire que j'évoque, ni même nécessairement des Juifs. Que veulent les femmes ? Que veulent les Juifs ? Bonnes questions, en vérité... Que veut au juste celle qui décline le judaïsme aux multiples cas du féminin et conjugue le féminisme à la première personne du pluriel juif ? Elle ne le sait pas et c'est pourquoi il faut l'écouter.
ELISABETH DE FONTENAY
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... les hommes, je les trouve souvent bloqués (Crédit : Perenom - Rush)
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