Université • Torah et « justice sociale » par Rony Klein
Université • Les notions de Libérateur et de Délivrance par Éric Smilevitch
Paracha • Beaalote’ha: les Hébreux enlisés par Monique Canto-Sperber
Cinq Livres • L’âge d’or de la bande dessinée avec Pierre Assouline, Asaf Hanuka
À venir
Paris - 23/07/2023 • La grande bourgeoisie juive à Paris au xixe siècle (Visite guidée) - Culture J
Discussion
Serges K. a répondu à votre commentaire : Les séquelles de la sortie d’Egypte
10 min de lecture
Article - L'Arche
Lévinas : judaïsme et temps présent
Par Emmanuel Levinas | 09 janvier 1960
Ajouter
Partager
J’aime
Article - L'Arche
Lévinas : judaïsme et temps présent
Par Emmanuel Levinas | 09 janvier 1960
Revue de l'Arche d'Août-Septembre 1960
"Il faut une patience singulière - le judaïsme - pour refuser les prétentions messianiques prématurées."
Dans ce texte publié en 1960 dans l'Arche, le philosophe Emmanuel Levinas analyse "l'anachronisme juif": la simultanéité d'un engagement dans l'Histoire et la pérennité d'un peuple qui "remonte à l'origine des choses". Il voit dans cette "patience singulière" la capacité à détecter les affects nationalistes des nouvelles prétentions messianiques...
L'ANGOISSANTE SOLITUDE DE L'HOMME DE NOTRE TEMPS - Toutes les contradictions qui déchirent le for intérieur de l'homme.
L'AGE DES FUSEES ET DE l'ATOME : «MALGRE LA VIOLENCE ET LA FOLIE QUI SE JOUENT SOUS NOS YEUX, NOUS VIVONS L'HIEURE DE LA PHILOSOPHIE
UN COURS DE TALMUD A PARIS - L'histoire est-elle séparée de ses accomplissements, la politique ne contient-elle aucune morale ? D'où le Juif tiendrait-il, dès lors, sa certitude et sa raison d'être dans un monde traversé par des courants d'énergie et de vie où il n'est rien, dans un monde débordant d'eaux vives qui surgissent des profondeurs élémentaires de l'être et qui joyeusement transportent les bâtisseurs des Etats, des régimes et des Eglises ?
Dans les mesquineries du quotidien, une communauté humaine ne ressemble pas à son mythe. Elle répond cependant à une haute vocation par ses intellectuels (ses anciens), attentifs aux raisons d'être et par sa jeunesse, prête à se sacrifier pour des idées, c'est-à-dire capable d'idées extrémistes. Les Juifs occidentaux des années 1945-1960, n'auront pas manifesté leur essence en se convertissant, en changeant de nom et en faisant des économies ou une carrière. Ils ont continué la Résistance, au sens absolu du terme. La carrière n'exclut pas la vigueur de l'intellect, ni le courage, difficile partout. Les jeunes se déracinaient pour monter en Israël, ou pour vivre comme à Orsay, comme à Aix, comme à Fublaines ; ou ils acceptaient, sur d'autres voies, d'inhumains dogmatismes sur une impie promesse de libérer l'Homme. Situer les Juifs dans l'actualité amène ainsi à une réflexion radicale. Son langage n'est pas toujours mensonge. Nous voudrions tenter cette analyse avec toute la pudeur et toute la prudence que demande un tel sujet, abordé dans un article de revue. Car, sans cette étude sommaire, la position du judaïsme, dans la deuxième moitié du siècle, se réduirait encore à l'interminable question de l'antisémitisme.
Age irreligieux ou âge atomique - ces caractéristiques du monde moderne, slogans ou imprécations, cachent une orientation plus profonde. Malgré les violences et la folie qui se jouent sous nos yeux, nous vivons à l'heure de la philosophie. Dans leur activité, les hommes sont soutenus par la certitude d'avoir raison, de se trouver en accord avec les forces calculables qui meuvent réellement les choses, de marcher dans le sens de l'histoire. Cela suffit à leur bonne conscience. Par-delà le progrès de la science qui découvrit le jeu prévisible des forces dans la matière, les libertés humaines elles-mêmes (et jusqu'aux pensées qui prennent conscience de ce jeu), se règleraient par un ordre rationnel. Enfoui au fond de l'Etre, il se dévoilerait et s'instaurerait en plein jour, à travers le désordre de l'histoire contemporaine, à travers les souffrances des particuliers comme à travers leurs convoitises, leurs passions et leurs victoires. La société industrielle planétaire qui s'annonce, supprimerait toutes les contradictions qui déchirent l'humanité, mais du même coup, le for intérieur de l'homme. La raison se lève comme un fantastique soleil qui rend transparente l'opacité des créatures. Hommes qui ont perdu leurs ombres ! Rien n'est plus capable d'absorber ni de réfléchir cette lumière qui abolit jusqu'à l'intériorité des êtres.
Cet avènement de la raison issue de la philosophie - et c'est l'originalité de l'époque - n'est pas la conquête de l'éternité promise au Logos de la sagesse antique. La raison n'illumine pas une pensée qui s'arrache au.x événements, pour les dominer dans un dialogue avec un dieu, l'unique interlocuteur valable, d'après Platon. On ne peut rien contrer dans le réel à l'état sauvage ou pur, tout y est d'ores et déjà formé, transformé ou reflété par l'homme, même la nature, le ciel et la forêt. Les éléments nous affleurent à travers une civilisation, un langage, une littérature, une industrie, un art. L'intelligible se lit dans l'empreinte que laisse dans les choses le travail des mortels, dans les perspectives ouvertes par les cités et les empires voués à la chute. Dès lors, dans l'épopée ou le drame de l'intelligence, l'homme est acteur avant d'être penseur. La réalité apparaît - c'est-à-dire resplendit de lumière intelligible - dans l'histoire où toute entreprise humaine s'insère, œuvre de libertés finies qui, par conséquent, trahissent leurs projets en les réalisant et ne dominent pas leur œuvre. Le destin de l'individu consiste à jouer, à point nommé, un rôle dans le drame de la raison et non point à embrasser ce drame. Ce qui importe, c'est d'être authentique et non point d'être dans le vrai, de s'engager et non pas de connaître. L'art, l'amour, l'acte l'emportent sur la théorie. Le talent vaut mieux que la sagesse et la possession de soi. Un intellectuel juif d'outre Manche ne s'est-il pas taillé, il y a quelques années, un gros succès dans ses conférences à travers l'Angleterre, en mesurant la valeur du Judaïsme par le talent et l'originalité des Juifs déjudaïsés ?
Dans cette complaisance pour la mortalité que l'on appelle la conscience historique, il s'agit pour chacun d'attendre l'heure, certes périssable, mais unique, de se tenir à la hauteur du temps qui échoit, de deviner l'appel qu'il vous adresse. Répondre à l'appel de l'instant périssable ! Il ne faut pas arriver trop tard. Tel l'Ange qui, selon le Midrache, n'avait qu'un chant unique à chanter devant le Trône de l'Eternel, à un instant unique, le sien, dans toute l'éternité de Dieu. Antagoniste d'Israël, il fit une mauvaise rencontre et eut une histoire juste dans la nuit qui précédait l'instant unique de son destin.
Les Juifs, au lendemain de la libération, sont aux prises avec l'Ange de la Raison qui les sollicita souvent et qui, depuis deux siècles, ne les lâche plus. Malgré l'expérience hitlérienne et les déceptions de l'assimilation, la grande vocation de la vie résonne comme l'appel de la société universelle et homogène. Il ne s'agit pas de décider si le modernisme de la vie actuelle est compatible avec le respect du sabbat et l'alimentation rituelle ou s'il faut alléger le joug de la loi. Ces questions importantes se posent aux hommes déjà décidés au judaïsme. Ils choisissent entre l'orthodoxie et la réforme selon les idées qu'ils se font de la rigueur, du courage et du devoir. Les uns ne sont pas nécessairement hypocrites, les autres ne suivent pas toujours les facilités. Mais c'est une querelle domestique.
Or, la conscience juive n'en est plus là. Comme une maison sans mezouza, la voilà, espace abstrait que traversent les idées et les espoirs du monde. Rien ne les arrête, car rien ne les accueille. Le repli même de l'intériorité se défait sous leur poussée irrésistible. Le judaïsme de la diaspora n'a plus de dedans. Il est entré très loin dans un monde auquel cependant il s'oppose. S'y oppose-t-il ?
Car la raison dont rayonne l'Ange (ou le Séducteur) libère de tous les particularismes. Les choses anciennes qui s'écroulent troublent nos rêves vaporeux. Un rêve plus grand, un rêve viril ne s'accomplit-il pas ainsi ? A l'optimisme à bon compte du XIXe siècle, sans prise sur le réel, à l'idéalisme des isolés et des inefficaces, se substitue une transformation de l'être, tirant sa noblesse de son attention au réel, une logique sans compromis ni exception, intolérante, et universelle comme une religion. L'importance majeure que revêt pour les hommes la transformation des choses et des sociétés, et l'attention que les religions établies portent aux transformations de la vie d'ici-bas, définissent notre temps. Jamais peut-être, le religieux et le profane n'étaient moins séparés. Comment, dès lors, résister aux vents qui emportent dans leur tourbillon la personnalité juive ? Quand le glas des révélations privilégiées est sonné par la Raison, n'attire-t-il pas comme le chant des sirènes ? Le judaïsme lèvera-t-il la bannière contre ce que, par tautologie, on appelle pensée libre, contre ses accomplissements dans le monde concret ? N'a-t-il pas, contre les religions de lui issues, douté du salut personnel séparable de la rédemption du réel visible ? Celles-ci ont beau jeu. Elles apportent des vérités surnaturelles et des sacrements et des consolations qu'aucune science ne saurait dispenser. La raison qui conquiert le monde leur laisse une extraterritorialité. Le judaïsme unit les hommes dans un idéal de justice terrestre dont le Messie est la promesse et l'accomplissement. L'éthique est son émotion religieuse primordiale. Il ne fonde aucune église pour des finalités trans-éthiques. Il distingue avec insistance « messianisme » et « monde futur ». Tous les prophètes n'ont prophétisé que pour annoncer les temps messianiques ; quant au monde futur, aucun œil n'a vu en dehors de « Toi Seigneur, ce qui arrivera à celui qui attend » (Sanhedrin 99 a).
Ce combat avec l'Ange est donc étrange et ambigu. L'adversaire n'est-il pas un double ? Cet enlacement n'est-il pas une torsion sur soi ? Est-ce une lutte ou une étreinte ? Jusque dans la lutte la plus impressionnante d'Israël pour sa personnalité - jusque dans l'édification de l'Etat d'Israël, jusque dans son prestige sur les âmes de partout - subsiste la sublime équivoque : cherche-t-on à se maintenir dans le monde moderne ou à y noyer son éternité ?
Car il y va de l'éternité d'Israël sans laquelle il n'y a pas d'Israël. Le combat est réel. La raison moderne qui transforme le monde menace le judaïsme d'une façon inégalée.
II en a pourtant vu d'autres. La cosmologie et l'histoire scientifique avaient, en leur temps, compromis le savoir de la Bible, la philologie avait mis en question le caractère exceptionnel de la Bible elle-même, dissoute dans la mer des textes parmi les remous que dessine son ondoiement infini. A ces attaques, l'apologétique répondait par la discussion des arguments avancés. Mais les croyants ont pu surtout leur opposer l'intériorisation des vérités religieuses. Qu'importent les démentis qu'inflige la science à la cosmologie biblique, s'il n'existe pas de cosmologie dans la Bible, mais des images nécessaires à une inébranlable certitude intérieure, des figures qui parlent à l'âme religieuse déjà située dans l'absolu ? Qu'importe la contestation que la philologie et l'histoire opposent à la date et à l'origine prétendues des textes sacrés, si ces textes sont riches de valeurs intrinsèques. Les étincelles sacrées des révélations individuelles ont pu produire la lumière, même si elles devaient jaillir aux moments les plus variés de l'histoire. La merveille de la convergence n'est pas moins merveilleuse que la merveille d'une source unique. L'éternité se retrouvait dans la forteresse de la vie intérieure où Israël se tenait sur un inébranlable rocher.
Mais voici que la pensée moderne dénonce l'éternité d'Israël en mettant en question la vie intérieure elle-même en tant que lieu de la vérité. La vérité se manifeste désormais dans l'évolution des sociétés, condition de toute idée surgissant dans un cerveau individuel. Seules les chimères et les idéologies se passent d'assise sociale. Ce qui est raisonnable dans la révélation juive, lui viendrait du déterminisme économique et social. Les idées douées d'une force de conviction interne, surgissent dans un devenir impersonnel et anonyme qui empoigne les hommes. La raison ne fait que ruser avec eux. Ils s'imaginent penser alors qu'ils exécutent ses desseins. Les prophéties se produisent par le jeu des forces historiques comme le pétrole ou le caoutchouc synthétiques dans les laboratoires.
Cette fois-ci, les lames de l'Histoire raisonnable érodent le rocher même d'Israël. Voici l'érosion de l'Absolu.
Or, cette éternité d'Israël n'est pas le privilège d'une nation orgueilleuse ou portée aux illusions. Elle a une fonction dans l'économie de l'être. Elle est indispensable à l'œuvre raisonnable elle-même. Quelqu'un, dans un monde, désormais historique, ne doit-il pas être aussi vieux que le monde ? Le monde moderne privé de toute fixité, a le sentiment d'une frustration. La justice pour laquelle il invoqua la raison, n'exige-t-elle pas le repli sur un terrain stable, une intériorité, une personne ? La personne est indispensable à la justice avant d'être indispensable à elle-même. L'éternité est nécessaire à la personne. Les plus lucides penseurs de notre temps même, l'ont recherchée. Ceux qui insistent sur l'engagement dans l'œuvre de Sartre, oublient que sa préoccupation principale consiste à assurer un dégagement au sein de l'engagement. Elle aboutit à un nihilisme dans sa plus noble expression - négation de l'engagement suprême qu'est pour l'homme sa propre essence.
Mais, jeter du lest devant les problèmes posés par l'existence, pour survoler, de plus en plus haut, la réalité, aboutit à l'impossibilité du sacrifice, c'est-à-dire à l'anéantissement de soi. Ici, le judaïsme s'insère dans le monde moderne. Il s'y insère en s'en dégageant. Il se dégage en affirmant l'intangibilité d'une essence, la fidélité à une loi, un rigorisme. Ce qui n'est pas un retour au statut des choses, car cette fidélité rompt l'enchaînement facile des causes et des effets qu'il est désormais possible de juger.
Le judaïsme est une non coïncidence avec son temps, dans la coïncidence : au sens radical du terme, un anachronisme, la simultanéité d'une jeunesse attentive au réel et impatiente de le changer et d'une vieillesse ayant tout vu, remontant à l'origine des choses. Le souci de se conformer à son temps n'est pas l'impératif suprême de l'humain, mais déjà une expression caractéristique du modernisme lui-même ; il est renoncement à l'intériorité, à la vérité, résignation à la mort et, chez les âmes basses, contentement dans la jouissance. Le monothéisme et sa révélation morale constituent l'accomplissement concret, par-delà toute mythologie, de l'anachronisme primordial de l'humain.
Il se situe plus profondément que l'histoire, il n'en reçoit pas son sens, il n'en devient pas la proie.
C'est pourquoi il ne cherche pas sa libération à l'égard du temps, dans le statut de civilisations mortes, d'une Grèce ou d'une Rome antiques. Celles-ci n'échappent pas à l'emprise des événements dans leurs tombeaux mêmes.
« Quand je mourrai », disait Rabbi Yossi ben Kismah à ses élèves, « enfouissez mes restes profondément dans la terre, car à tous les palmiers de Babel seront un jour attachés les chevaux des Perses, et il n'y aura pas de cercueil en Israël qui ne serve d'auge à avoine aux chevaux des Mèdes ».
Le judaïsme, dédaigneux de cette fausse éternité, a toujours voulu être simultanéité de l'engagement et du dégagement. L'homme le plus profondément engagé dans la vie - celui qui ne peut jamais se taire - le prophète - est aussi l'être le plus séparé, le moins capable de devenir institution. Le faux prophète, seul, a une fonction officielle. Le Midrache se plaît à raconter que Samuel refusait toute invitation au cours de ses pérégrinations à travers Israël. Il transportait partout sa tente et ses ustensiles. Et la Bible pousse cette idée d'indépendance, même économique, jusqu'à imaginer le prophète Elie nourri par des corbeaux.
Mais ce contenu essentiel, que l'histoire ne saurait toucher, ne s'apprend pas comme un catéchisme et ne se résume pas comme un credo. Il ne se borne pas non plus à l'énoncé négatif et formel d'un impératif catégorique. Le kantisme ne le remplace pas. Encore moins est-il donné par je ne sais quel privilège ou miracle racial. Il s'acquiert dans un mode de vie-rite et générosité de cœur - où une fraternité humaine et une attention au présent se concilient avec une éternelle distance à l'égard du contemporain. Il est une ascèse, c'est-à-dire une formation de lutteurs. Il s'acquiert et se tient, enfin, dans ce type particulier de la vie intellectuelle qu'est l'étude de la Thora, reprise permanente, rénovation du contenu de la révélation où toutes les situations que traverse l'aventure humaine peuvent être jugées. Et c'est cela précisément la révélation : les jeux ne sont pas faits, les prophètes ou les sages du Talmud ignorent les antibiotiques et l'énergie nucléaire ; mais les catégories nécessaires à la compréhension de toutes ces nouveautés sont déjà à la disposition du monothéisme. Il est l'antériorité éternelle de la sagesse sur la science et sur l'histoire. Sans lui, le succès équivaudrait à la raison et la raison à la nécessité de vivre avec son temps.
ll n'y aura personne au monde pour juger, à seul contre tous, la victoire des forces visibles et organisées et pour la refuser au besoin. Peut-être demain ou après-demain, la témérité d'un tel jugement sera plus nécessaire à l'humanité qu'elle ne le fut hier ou avant-hier. Viendra-t- elle des moines qui rendent à César ce qui est à César ? Ou de la Gauche qui n'ose pas aller jusqu'à son extrême vers lequel la pousse sa pensée politique qui s'arrête, sans raison, comme prise de vertige, au bord de ses propres conclusions ?
Ce n'est pas le messianisme qui manque à une humanité prompte à espérer et à reconnaître ses espoirs dans tout ce qui promet, s'édifie et remporte victoire et se donne pour aboutissement. Tous les nationalismes sont désormais porteurs de messages messianiques et toutes les nations élues. Le monothéisme n'est pas seulement une horreur des idoles, mais un flair pour la fausse prophétie. Il faut une patience singulière - le judaïsme - pour refuser les prétentions messianiques prématurées.
Ces jeunes gens, impatients d'agir raisonnablement, qui tournent le dos au judaïsme parce que, rêve éveillé, il ne les éclaire pas assez sur les problèmes actuels, sur « la vaste réalité qui se joue hors du judaïsme », oublient que le pouvoir de contester éventuellement l'importance d'un grand monde qui s'impose par son seul format, est le privilège du judaïsme et l'enseignement le plus pur qu'il apporte aux hommes ; ils oublient que la révélation donne une clarté mais non pas de recettes ; ils oublient que l'engagement seul - l'engagement à tout prix, l'engagement la tête en avant, en brûlant tous les ponts derrière soi, même celui qui doit permettre de rentrer en soi - n'est pas moins inhumain que le dégagement dicté par la peur pour ses aises et où se sclérose une société qui a transformé la tâche difficile du judaïsme en confession, accessoire du confort bourgeois.
Sans doute ces fervents de l'engagement étaient-ils comme les disciples de Rabbi Yossi ben Kismah qui demandaient au Maître : « A quand la venue du Fils de David ? » Ils dénonçaient probablement déjà la stérilité des discussions « halachiques », étrangères aux problèmes brûlants du messianisme, du sens et de la fin de l'histoire. Rabbi Yossi se dérobait : « Je crains que vous n'exigiez un signe ». Les disciples trouveront encore abstraite et générale la sagesse du Maître. Déjà, ils auront pensé que les temps messianiques s'annoncent dans les événements de l'histoire, comme les fruits dans les germes et que la maturation de la délivrance se fixe comme la saison des prunes. Le maître parlera-t-il ?
Les disciples ne demanderont pas de signes. Rabbi Yossi dira alors la structure périodique de l'histoire, l'alternance de grandeurs et de décadences dont les temps messianiques ne découlent ni logiquement, ni dialectiquement, où ils viendront s'insérer comme du dehors : « Lorsque le portail de cette ville se sera écroulé et qu'il sera rebâti et qu'il se sera écroulé à nouveau et sera rebâti pour s'écrouler encore, les rebâtisseurs n'arriveront pas à terminer leur tâche, que Ben David viendra ».
Le Maître ne s'enferme-t-il pas dans les généralités pour éluder les problèmes ? L'histoire est séparée de ses accomplissements, la politique de la morale. L'enchaînement rigoureux des événements n'en garantit pas l'heureuse issue. Aucun signe ne s'y inscrit. Soit. Mais le Maître refusera-t-il les signes nécessaires à ceux qui récusent les bonnes, mais fausses nouvelles ? D'où le Juif tiendrait-il la force de son refus et la certitude de sa raison d'être, dans un monde traversé par des courants d'énergie et de vie où il n'est rien, débordant d'eaux-vives qui montent des profondeurs élémentaires et qui, joyeusement transportent les bâtisseurs des états, des régimes et des Eglises? Le Non exige un critère. Rabbi Yossi donnera le signe exigé : « Que les eaux de la caverne de Pamaïs se transforment en sang ! Et elles se transformèrent en sang » (Sanhedrin 98 a).
Pamaïs, l'une des trois sources légendaires qui restèrent ouvertes à la fin du déluge ; Pamaïs - source du Jourdain. Eaux de toutes les fins de l'histoire, de tous les nationalismes (même du nationalisme juif), jaillissant comme des forces irrésistibles de la nature, eaux de tous les baptêmes et de tous les effacements, eaux de tous les messianismes ! Les hommes qui voient, ne peuvent détourner leur regard du sang innocent qu'elles diluent.
Pour connaître et exercer vos droits, notamment le retrait de votre consentement à l'utilisation des données collectées par ce formulaire, veuillez consulter notre charte de confidentialité
Akadem garantie la protection de vos données et le respect de votre vie privée. Pour plus d’information, vous pouvez consulter la page Mentions légales.
Dans un souci d’amélioration continue de nos programmes et services, nous analysons nos audiences afin de vous proposer une expérience utilisateur et des programmes de qualité. La pertinence de cette analyse nécessite la plus grande adhésion de nos utilisateurs afin de nous permettre de disposer de résultats représentatifs. Par principe, les cookies de mesure d’audience sont soumis à votre consentement. Cependant, certains bénéficient d’une exemption de consentement sous réserve de satisfaire aux conditions posées par la CNIL. Les partenaires avec lesquels nous travaillons, Matomo Analytics, proposent des cookies remplissant ces conditions. Ce qui signifie que, même si vous ne nous accordez pas votre consentement, des éléments statistiques pourront être traités au travers des cookies exemptés. En donnant votre consentement au dépôt des cookies Matomo Analytics vous nous permettez de disposer d’information plus pertinentes qui nous seront très utiles pour mieux tenir compte de votre expérience utilisateur.
Activer
Dans un souci d’amélioration continue de votre expérience utilisateur, ces cookies nous permettent d’identifier rapidement d’éventuels dysfonctionnement que vous pourriez rencontrer en naviguant sur notre site internet et d’y remédier.