Le « Prix Nobel de la paix » a choisi « l'Arche » pour s'adresser à celui qui doit l'accepter comme il l'accepte.
« Allez vous en... Allez là où
vos jambes vous porteront... Prenez votre passé,
confiez-le aux antiquaires... Votre place
n'est pas parmi nous... Allez mourir
ailleurs... » C'est un poète palestinien
"modéré", Mahmoud Darwich, qui le
disait dans un poème qui faisait fureur
en Israël, y compris dans les milieux
de la gauche pro-palestinienne. Les
journaux en ont publié des traductions
différentes. Selon l'une d'elles, le poète
dit aux Juifs d'Israël : « Allez, prenez
vos morts et déguerpissez d'ici. » Ces
propos, je n'arrive pas à les effacer de mon esprit.
Si un modéré, dont les amis israéliens
sont nombreux et certains jouissent
d'une certaine réputation, s'exprime
avec tant de violence, tant de haine, que
peut-on attendre des autres ? Si ce
poème reflète chez vous une conviction
majoritaire plutôt que l'humeur d'un
poète désabusé, alors nous courons vers
la catastrophe. Or, des camarades à lui
et à vous ne disent pas autre chose, des
journalistes étrangers vous le confirmeront. ll ne s'agit plus de la Cisjordanie,
répètent-ils. Il s'agit de ce que fut la
Palestine en 1947. Leurs propos extrémistes me désolent. J'appartiens à ceux
qui croient que les deux peuples anciens, ceux du Livre, peuvent vivre
ensemble sans s'entretuer.
C'est que je ne suis pas votre ennemi,
je ne l'ai jamais été. Certes, les Juifs en
Israël sont mes frères et un amour
passionné et immuable me lie à eux.
Mais n'allez pas me dire qu'il m'est
impossible de les aimer sans vous haïr.
L'amour qui se nourrit de haine finit
par dégénérer. Je préfère penser que
c'est parce que j'aime Israël que je me
sens incapable de vous haïr.
Déjà en 1975 j'avais écrit une lettre à
l'un de vos aînés. J'avais essayé de
démêler nos rapports complexes, troublants et douloureux. Je lui avais dit : tout en me déclarant solidaire d'Israel,
je me considère responsable de ce qu'il
vous arrive, de la souffrance qui vous
habite. Mais, ai-je insisté, je refuse
d'être tenu responsable de la manière
dont vous vous servez de votre
souffrance. La violence comme solution
politique, la haine comme réponse
humaine, j'ai toujours été contre.
Votre colère, je la comprends, ou du
moins j'essaye de la comprendre. Votre
défi aussi, je me l'explique aisément.
Frustré, diminué, déçu, laissé pour
compte pendant trop d'années, vous
vous sentez floué par la société, abandonné, trahi par le monde entier, les
pays arabes inclus. L'Etat palestinien
auquel vous rêvez, eh bien, il aurait pu
naître en 1948 selon le plan de partage
des Nations Unies et, un peu plus tard,
en Cisjordanie sous occupation jordanienne. Pourquoi tant d'indifférence à
votre égard ? Pourquoi ce comporte-
ment général, universel, comme si vous
n'existiez pas? Or, le moyen le plus
efficace d'attirer l'attention c'est la
violence, c'est connu. Comment vous
le reprocher? Vous vouliez que l'on
vous écoute, que l'on vous entende. Là,
vous avez atteint votre but. Dans tous
les pays de tous les continents l'on vous
regarde sur les écrans, on lit vos
déclarations, on discute votre combat,
on mesure vos aspirations, on analyse
vos intentions : vous êtes souvent au
centre de toutes les conversations. C'est
bien, c'est juste.
Ce qui, en revanche, ne l'est pas, c'est
l'attitude de certains de vos amis
occidentaux. Vous n'y êtes pour rien.
Si je vous le dis, c'est pour que vous
le sachiez. Leur fanatisme vous fait du
tort. En vous défendant, ils prêchent et
propagent la haine autour d'eux. Résultat : un peu partout, dans les milieux
intellectuels de gauche, on hait Israël,
on hait quiconque ne hait pas Israël,
on hait quiconque tient à comprendre
Israël comme d'autres veulent vous
comprendre, vous.
Je parle d'expérience : je n'ai jamais
reçu tant de lettres haineuses. En
Europe, aux Etats-Unis, en Israël
même, commentateurs et diplomates,
agitateurs professionnels et militants
naïfs ont répondu à mes déclarations
modérés avec malveillance et méchanceté. Un romancier, un universitaire
islamisant, l'ambassadeur d'un pays
neutre, des lecteurs connus et moins
connus ; la virulence de leurs propos ne
peut que choquer. Ils ont créé un climat
dangereux pour quiconque ne partage
pas leurs opinions : dire un mot en
faveur d'Israël c'est courir Je risque de
se faire éclabousser par leur préjudice, c'est se voir traité de porte-parole
démoniaque d'un Etat diabolique. Israël a remplacé la France colonialiste
et l'Amérique impérialiste comme cibles. On défend les Palestiniens comme
jadis on défendait les Vietnamiens ou
les Algériens. Des exaltés ? Sans doute.
Leur excès nuit à votre cause, dites-le
leur. Dites-leur de ne pas comparer
votre épreuve à l'Holocauste. Dites-leur
qu'Israël ne correspond point à l'image
qu'ils en ramènent. Ses soldats ne sont
pas tous des brutes sadiques. Leurs
commandants ne raffolent pas des
missions oppressives qui leur incombent. Bien sûr, des exceptions existent, mais elles demeurent rares. Les
coupables ont été jugés, les responsables
réprimandés. Et puis, l'opinion publique, alertée, ne mâche guère ses mots
pour dénoncer sévices et châtiments
injustes. Dites-le à vos amis. Puisqu'ils
vous écoutent, conseillez-leur de dépassionner les débats. Qu'ils ne s'adressent
pas seulement aux Juifs qui sont contre
Israël Qu'ils dialoguent avec nous
aussi, qu'ils respectent notre position
comme je respecte la vôtre.
Cela dit, puis-je, à mon tour, vous
donner un conseil ? Ayant gagné l'attention du monde, pourquoi ne pas
vous exprimer avec des paroles plutôt qu'avec des pierres et des pneus brûlants ? Déclarez un armistice et invitez
les Juifs d'Israël à vous écouter. S'ils
refusent, vous pourrez toujours revenir
à votre tactique violente. Accordez au
moins une chance à l'échange par la
parole. Dites-nous ce que vous espérez
vraiment accomplir par votre soulève-
ment. Malgré les déclarations d'Arafat,
certains de vos amis nous tiennent un
langage inquiétant, je vous le répète,
est-ce vrai que certains parmi vous
remettent l'existence même d'Israël en
question? Et que les frontières de 1967
elles-mêmes ne leur satisferont pas ?
Est-ce vrai que vous comptez chasser
Israël non seulement de Hebron mais
aussi de Jaffa?
Je m'efforce de ne pas perdre l'espoir.
Quitte à nier l'évidence des faits, je
voudrais croire que mes frères arriveront à vivre avec vous et les vôtres dans
un climat de dignité réciproque"que vos
aspirations nationales- que tout homme de bonne foi aimerait pouvoir
respecter - trouveront leur expression
dans la reconnaissance plutôt que dans
le reniement de l'autre. Je voudrais
croire que sur la terre bénie des
prophètes et sanctifiée par Dieu, le sang
des hommes cessera de couler.
Je veux croire aux miracles.