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L'Arche
Article - L'Arche

Les noces, par Armand Abécassis

Par Armand Abécassis | 31 mai 1991

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La Hilloula comme fête et comme mitsva est plus tournée vers ce qui reste à faire que vers le passé

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La Joie de vivre
Armand Abecassis donne ici la signification "historique" de la Hilloula. Cette explication évidemment religieuse prend tout son sens. Mais aussi bien l'Histoire juive et la religion ne sont-elles pas confondues et, qu'on le veuille ou non, ne forment-elles pas le ciment de la continuité juive dans le temps ?
Il reste que cette étude ne contredit pas ce que nous disons, par ailleurs, de la Hilloula, du sens de « fête des communautés juives » et de « l'unité juive ». Il ne s'agit évidemment pas de trahir les sources de la Hilloula, ni de dénaturer une fête. Mais de proposer une manière de rassemblement - qui en vaut un autre - où tout juif trouvera sa place et se sentira bien. A une remarque près, ce rassemblement, bien sûr, doit rester "digne" mais il peut être imprégné de joie. La joie de vivre, et d'être, tous ensemble, les gardiens et les garants d'une pérennité juive,
Et cela concerne autant ceux qui se réclament, à la lettre, d'une Tradition dont Armand Abecassis évoque les grandes lignes - que ceux qui, quelle que soit leur appréhension du judaïsme, se sentent membres "dans le temps et l'espace" de la Kehila, c'est-à-dire de la Communauté toute entière.
R.A.
De Pessah à Chavouot nous comptons les jours de Omer pendant sept semaines, à partir du 15 Nissan, lendemain de la sortie d’Egypte, jusqu’au 6 Siwan qui rappelle la révélation de la Torah. La fête de Chavouot – des semaines – se présente ainsi comme le huitième jour de Pessah, symboliquement reporté à sept semaines plus tard. Les deux événements, la libération et la révélation sont donc liés : seul celui qui est disposé à donner sens à sa liberté en l’orientant vers la responsabilité et la conscience de la loi, mérite d’obtenir son indépendance sociale, culturelle et politique. Entre la libération physique et la promotion spirituelle, la période du Omer se présente comme un temps d’épreuves et d’histoire périlleuse. Elle est marquée par des échecs et par des réussites que la Torah nomme : traversée de la mer Rouge, contestations d’Israël, eaux amères, la manne et les cailles, le veau d’or etc. Et comme toujours selon l’interprétation du Midrach c’est dans ce temps du Omer, que toute l’histoire juive et ses principaux drames et accomplissements se sont déroulés. C’est d’abord la destruction de l’armée de Bar Kokhba et la mort des soldats, élèves de Rabbi Aquiba qui avait fermé ses écoles pour participer activement – lui et ses disciples – à la lutte contre l’envahisseur romain. On peut dire que l’exil deux fois millénaires commença réellement à ce moment tragique. On peut ajouter qu’un long Omer frappa Israël jusqu’en 1948. Il est symptomatique également que le calendrier juif se soit élargi à certains événements décisifs de cette histoire : le 27 Nissan, jour de la Choa, le 4 Iyar jour des victimes de la guerre d’indépendance, le 5 Iyar le jour de l’indépendance, 28 Iyar le jour de Jérusalem.
Mais au cours de cette longue période de deuils et de joies, par-delà les victimes innocentes, à Auschwitz ou tombées en Israël, par-delà même l’événement pré-messianique du 5 Iyar, il y a le Lag Baomer, le 33ᵉ jour de la supputation du deuil et de la joie. Le deuil y est paradoxalement suspendu, de manière finale par les Séfaradim, et provisoire pour les Ashkénazim, parce qu’en ce jour, Rabbi Chimon Bar Yohay – le grand maître du Zohar – décéda. La joie est alors à son comble pour tous ceux qui se réclament de la tradition des Cabalistes. Ils ont pris l’habitude de nommer ce jour de mort : Hilloula, terme araméen du temps de la Michnah et qui signifie la fête et plus précisément : mariage. Alors que « la mort des Justes est un deuil », la tradition juive a fait du 33ᵉ jour du Omer (18 Iyar) le jour des noces du grand maître de la Cabbalah pour enseigner que les justes ne meurent pas. La preuve : nous en parlons encore dix-neuf siècles après sa disparition. Peut-être en effet le décès des hommes qui, comme lui, ont reçu à ce point – son maître était Rabbi Aquiba – et transmis davantage encore, marque-t-il un renouveau dans la pensée traditionnelle. Il est résurrection. C’est cette coutume qui s’est étendue dans les pays où la tradition cabalistique a fleuri, les pays afro-asiatiques et la Pologne. Mais il nous faut évidemment nous défaire des dégradations dans lesquelles la Hilloula est tombée, et des abâtardissements dans lesquels on l’a conduite dans les lieux où sont enterrés des « Saints » incontestés et incontestables. Ceux-ci doivent assurément se retourner dans leur tombe quand ils entendent au-dessus d’eux, non les prières et les recueille­ments, mais les marchandages de toutes sortes, les bruits des festins équivoques, et surtout (comme parfois en Afrique du Nord) des bals ! Quand la Hilloula voisine avec ce genre d’exploitations, elle dérive sans conteste dans l’ignorance, l’inconscience et la superstition. Heureusement certains rabbins – ou certains juifs tout simplement – savent donner le témoignage, par leur comportement autour des tombes des « Saints » et par leur concentration sur l’étude et la prière, de ce qu’est réellement la Hilloula.
La mort des justes
On peut d’abord, en suivant certaines suggestions du Zohar (Iddera’ Zouta’) réfléchir sur la mort des Justes et se réjouir de ce que la poussière ni les vers n’atteignent point leur enseignement qui continue à traverser l’espace et le temps. Le commun des mortels disparaît corps et âme dans sa dernière demeure ; il ne marque pas l’histoire de son peuple qui s’est pourtant perpétuée grâce à lui. La Hilloula nous apprend alors que certains se contentent de recevoir et de transmettre exactement ce qu’ils ont reçu ou, dans la plupart des cas, moins que ce qu’on leur a donné. Ils sont fidèles et grâce aux fidèles le peuple juif traverse l’Histoire. Ils ont mérité de leur vie et dans leur vie. Ils ont droit que sur leur tombe la famille et les amis viennent et prient sans fête, dans le deuil total. D’autres, par contre, ont peu reçu par rapport à ce qu’ils transmettent car ils ouvrent un nouveau livre où ils tournent une nouvelle page de l’histoire. Ils ne se contentent pas d’être fidèles : ils sont créateurs à partir de ce qu’on leur a transmis. Une grammaire nouvelle, une sémiologie nouvelle et une sémantique novatrice, bref, une interprétation inouïe à la mesure de leur souffle et de leur rayonnement apparaissent avec eux. Ils méritent que sur leur tombe la foule vienne donner témoignage que ni le dépérissement ni l’oubli n’ont porté atteinte à leur âme et à leur esprit. Ils sont encore vivants dans la multitude. Celle-ci retrouve leur capacité créatrice dans leur biographie et dans leur enseignement. La fête de la Hilloula prend alors tout son sens : elle est affirmation de vie et inscription dans une histoire qui commença avec le « saint » et qu’on veut préserver parce qu’elle nous protège de la mort également. Les noces de la Hilloula sont celles d’une communauté avec l’un de ses maîtres, mariage mystique entre deux mémoires particulières, au sein d’une mémoire géné­rale, union intellectuelle et affective de deux projets en accord sur leur liberté créatrice au sein de leur fidélité réciproque. Ce que le fidèle désire retrouver à la Hilloula c’est le secret éternel de l’initiation.
L'identité collective
On pourrait ensuite (toujours d’après le Zohar), lire les noces de Rabbi Chimon Bar Yohay, comme la montée de son âme au ciel, comme le baiser « YHWH donna à Mosche, à Aharon et à Myriam en aspirant leur âme ». La vie du « Saint » est donc pensée comme une victoire absolue non seulement sur le temps et sur l’Histoire, mais aussi et surtout sur la condition humaine en général. Il est reconnu comme unique, et c’est peut-être une expérience que chacun va chercher à la Hilloula autour de la tombe des saints. Il ne s’agit pas d’un approfondissement de la mémoire et de l’Histoire, d’une solidarité avec une communauté retrouvée et réunifiée, que d’une élévation au-dessus de cette réconciliation en direction de la réconciliation avec « soi-même ».
L’identité collective nécessaire à la reconnaissance de l’identité personnelle ne peut en aucun cas l’absorber ni la dissoudre. La Hilloula ne peut être contagion ni fusion horizontales à l’image de ce qui se passe dans les manifestations publiques, les défilés, les commémorations générales ou les terrains de sport. L’affirmation de la solidarité et de la commune histoire n’ont de sens que dans l’assurance de la liberté réelle de l’individu et de sa participation active. La Hilloula n’a aucun rapport avec les fêtes de communions d’extases, d’orgies, d’évasions de soi et de distractions. Elle est célébration communautaire d’une personnalité, acte de mémoire collective ouvrant à un acte de mémoire individuelle. Chacun rencontre l’autre afin de revenir à « soi-même » dans la distinction et dans la séparation.
Que l’âme du saint monte au ciel après avoir traversé l’histoire de manière admirable, ne peut signifier rien d’autre que l’expérience de la transcendance et de l’altérité radicale qui la sépare de l’entreprise de massification et d’uniformisation. Elle s’est connue comme unique, c’est-à-dire dans l’unité et dans l’unicité. Les lois de la nature de la dissolution dans l’identique n’eurent pas prise sur elle. Responsable de son peuple et de sa communauté – à quel point ! – elle ne s’est pas dégradée dans le populaire, dans le commun ou dans le pur social. Elle s’est élevée vers le ciel où elle avait toujours ses racines. Rabbi Chimon Bar Yohay, Rabbi Amram Ben Diouane (Mezane), Rabbi Fraji (près de Béja), Rabbi Ephraïm ‘Enqaoua (Tlemcen), Rabbi Abéhsera (Damenhour) furent assurément des maîtres surgis dans le peuple juif pour lui apprendre à retrouver son âme et ses racines non dans le sol mais dans le ciel des valeurs et de la transcendance.
En ce sens le lieu de sépulture ne peut être déclaré saint que si ceux qui s’y rendent sont saints. La sainteté d’un lieu ne doit pas être confondue avec le sacré païen. Elle n’y est pas inscrite comme son essence ou sa nature. Elle lui vient de la sainteté et de la qualité morale et spirituelle de ceux qui l’habitent. La grandeur de ces maîtres placés au cœur de la Hilloula leur vient également de la conduite de ceux qui se rendent à leur tombe pour se recueillir et pour retrouver un modèle ou une image auxquels ils puissent s’identifier dans leur temps.
La Hilloula doit être, comme son nom l’indique, une fête et une louange (Hallel). Ces deux dimensions se rencontrent dans le troisième sens de ce terme : Noces. Mais il y a les noces païennes qui visent la communion avec la nature, avec les corps, avec ce qui est et avec les forces biologiques. Et il y a les noces bibliques, d’amour certes, mais de tendresse, de respect, de responsabilité, de communication par laquelle une âme signifie à l’autre qu’elle la sauvegarde tout en regardant dans la même direction qu’elle. La Hilloula est la manifestation totale de la joie, c’est-à-dire de l’accomplissement d’un individu et d’une communauté à la recherche de traces laissées par de grands maîtres.
Le poète espagnol Yehoudah Halevy a abondamment réfléchi sur la joie en la mettant en relation avec la Mitsvah. Celle-ci, comme tout rite, n’est-elle pas la voie par laquelle le projet descend dans l’être, et les valeurs morales dans le monde ? La Hilloula, comme fête et comme Mitsvah, est donc plus tournée vers ce qui reste à faire que vers le passé. Elle interroge le passé pour l’ouvrir à ce qui vient en engageant la communauté et l’individu dans leur responsabilité infinie. ■
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A Netivote, une Hilloula (Credits photo : Daniel Mordzinski)
Armand Abécassis
Armand Abécassis
Philosophe
Armand Abécassis est écrivain et professeur émérite de philosophie générale et comparée. Docteur d'Etat, certifié en langues sémitiques ainsi qu’en langue arabe, il a reçu le prix de l'Académie des sciences morales et politiques pour son œuvre sur La Pensée juive (4 volumes). Il est directeur des études juives de l'AIU. Il a obtenu le prix de l'amitié judéo-chrétienne en 2009, le prix Tenoudji de l'éducation, et le prix Spiritualités d'aujourd'hui d'aujourd'hui en 2020, pour son livre "Jésus avant le Christ". 
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