L'arche
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Article - L'arche
Le rachat des captifs dans les communautés juives historiques
Par Cecil Roth | 01 juin 1954
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En 1954, l'historien britannique Cecil Roth publiait un article consacré à la question des captifs dans la revue mensuelle du FSJU, ancêtre de l'Arche. Il montrait l'acharnement de petites communautés à racheter et sauver ceux qui étaient séquestrés. Akadem vous propose de découvrir cette archive dans sa forme originale.

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Parmi les historiens juifs contemporains, M. Cecil Roth occupe une place de choix. Né en 1899, il a publié une quinzaine de volumes et de nombreux articles consacrés essentiellement à l'his­toire des Juifs Séfardim d'Europe, sans pour autant se désintéres­ser d'autres aspects de la survivance juive. C'est ainsi qu'il nous a donné une Histoire des Juifs de Venise (1930), une Histoire des Marranes (1932), une Vie de Manasseh ben Israël (1934), une Histoire des Juifs d'Angleterre (1941), et une Histoire des Juifs en Italie (1946). Il convient de citer également Les Contributions juives à la Civilisation (1938). Son Histoire du Peuple Juif a été publiée en traduction française en 1947 (Editions de la Terre Retrouvée). M. Roth joint à une grande érudition un style limpide et direct. Son œuvre, qui n'est pas discutée, n'est pas impersonnelle. M. Roth ne pousse pas l'objectivité historique jusqu'à se désintéres­ser du pourquoi de l'histoire. Historien juif, il écrit une histoire juive. Pour lui, ce qui est arrivé au judaïsme européen est « un événement qui nous a imposé l'obligation de trouver une solution définitive, car aucun peuple ne peut courir le risque de voir se renouveler un désastre de cet ordre. » Sans doute, l'étude de l'his­toire juive peut-elle apporter des éléments de solution. M. Rolth enseigne l'histoire juive à l'Université d'Oxford.
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MARSA MUSCETTO (dessin de R. Serle). En bas, la « Poterne des Juifs » où on embarquait les Juifs rachetés par les Vénétiens. 
Les rabbins considéraient le rachat des captifs comme l'acte charitable le plus louable qu'un juif puisse être appelé à faire. Et à travers toute l'histoire juive, nous pou­vons relever des faits retraçant les efforts des communautés du monde entier, en vue de racheter leurs coreligionnaires malheureux tombés dans l'esclavage à la suite d'actes de violence - particulièrement en temps de guerre - sur terre ou sur mer.
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LA VALETTE (gravure de A. Ansted)
Au 17e siècle cependant, ces efforts s'organisent et prennent une ampleur telle qu'ils constituent un des épisodes ; les plus remarquables de l'histoire de la solidarité humaine.
Il y a à cette évolution deux raisons primordiales, dont l'une est constituée par les massacres de Pologne en 1648 et la saisie d'un nombre considérable de juifs vendus comme esclaves dans divers pays et notamment à Constantinople. La seconde raison réside dans la situation en Méditerranée où musulmans et chrétiens étaient en conflit perpétuel. Pour les pirates barbaresques, c'était un impératif religieux que de poursuivre les navires des chrétiens. Par ailleurs, les Chevaliers de Saint-Jean, établis à Malte, entreprenaient sans cesse des expéditions dans la Méditerranée orientale et septentrionale et se saisissaient des bateaux battant pavillon musulman, dont les passagers et les équipages étaient ramenés au port de Valette et vendus comme esclaves, à moins d'avoir la fortune d'être rachetés par quelque généreux bienfaiteur. Ces deux camps considéraient les juifs comme une proie qui leur était due. Ainsi à Malte, depuis la moitié du 16e siècle, se trouvait toujours un nombre important de malheureux juifs ayant perdu leur liberté, tandis qu'ils naviguaient paisiblement pour vaquer à leurs affaires entre les divers ports méditerranéens.
Vers le milieu du 17e siècle, les communautés espagnoles et portugaises de Venise - dont les membres s'occupaient activement du commerce de l'importation et de l'exportation et s'intéressaient de façon très étroite à ce problème - constituèrent une organisation chargée essentiellement d'y remédier, dont le nom était « Hebrath Pidion Shebuim », c'est-à-dire « organisation confraternelle pour le rachat des esclaves ». Ses membres se faisaient appeler « Pamassim dos Cantivos (captifs, en espagnol). L'importance de l'organisation se développa rapidement et elle devint bientôt l'une des associations juives les plus riches et les plus estimées de la ville. Ses revenus provenaient non seulement des dons de ses membres, mais d'une redevance régulière imposée à toutes les marchandises faisant l'objet d'importations ou d'exportations à des pays musulmans. C'était en même temps une sorte d'assurance contre le risque d'être pris. Lors de prises pour lesquelles les rançons dépassaient les fonds disponibles, un appel était lancé à d'autres communautés juives - en Italie ou ailleurs - particulièrement, et c'était normal, aux synagogues séphardis qui alignaient leurs activités sur celles de l'organisation de Venise. Ces appels devinrent si fréquents que les diverses associations s'occupant du rachat des esclaves, eurent toutes leurs « Parnassim des Cantivos ». On en trouvait à Livoume, à Amsterdam, à Hambourg et à Londres. Dans cette dernière ville, les « Parnassim des Cantivos » s'occupaient de la collecte et de la transmission des fonds en Palestine. Lorsque, en 1840, sir Moses Montefiore et Adolphe Crémieux se rendirent en mission à Damas, une grande partie des frais de voyage pour ce dernier fut payée par ce fonds. Ce fut une des dernières activités importantes de l'Association qui subsista nominalement pendant quarante-deux années encore. Les communautés séphardis de France - à Bordeaux et à Bayonne - contribuèrent, elles aussi, aux activités de l'organisation de Venise - lorsque les circonstances l'exigèrent. La famille Villareal de Marseille versa la rançon d'un prisonnier pris dans cette région de la Méditerranée.
Mais le travail le plus important de la Hebra dos Cantivos de Veneza se faisait à Malte où les Chevaliers de Saint-Jean ramenaient triomphalement leurs malheureux captifs - parmi lesquels se trouvaient des femmes et des enfants, parfois encore des rabbis éminents, ou des bibliothèques de livres juifs qui avaient été saisies et dont le rachat était également considéré comme faisant partie des exigences de la charité, selon les vieilles conceptions juives. A Malte, cependant, une difficulté évidente existait. Les juifs avaient été chassés de l'île - à ce moment-là dominion aragonaise - en 1492 et il leur était interdit d'y vivre. Comment, dans ces conditions, négocier ? La seule possibilité consistait en l'emploi de chrétiens chargés de traiter à leur place. L'association vénétienne entretenait donc un « consulat » permanent à la Valette qui était autorisé à agir en son nom et qui effectuait même un certain nombre de versements lorsque les montants en cause n'étaient pas trop importants. De 1670 à 1706, ce fut un catholique français, nommé François Garsin, qui exerça ces fonctions, sans accepter toutefois le moindre dédommagement pour son travail, même pas la simple commission usuelle. « Votre mérite devant Dieu n'en sera que plus grand », lui écrivaient les « Parnassim », et « vous serez récompensé par lui d'autant plus que vous dépensez vos efforts pour des hommes, appartenant à une autre nation que la vôtre ».
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L'intérieur de la Synagogue Espagnole à Venise, bâtie en 1584, transformée et décorée en 1635
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La place des Synagogues à Venise avec la porte de la Synagogue Espagnole (photo E.N.)
Les communications entre Malte et Venise étaient lentes. La rapacité des « propriétaires » des esclaves qui misaient sur les sentiments de compassion des juifs, rendait les négociations longues et laborieuses. Souvent dix à vingt prisonniers juifs étaient pris au cours d'une même expédition et l'organisation vénitienne devait faire appel à plusieurs communautés européennes pour rassembler les fonds nécessaires à leur libération. Ainsi se trouvaient presque toujours sur cette île d'où les juifs étaient en principe exclus, quelques prisonniers esclaves juifs désespérés d'être privés de tous les moyens d'expression de la vie religieuse juive. C'était encore le « consul » chrétien qui veillait à ce que fussent respectées au moins quelques-unes des exigences de ce rite. Il avait ainsi obtenu que les juifs ne fussent pas contraints à travailler le jour du Sabbath, il leur avançait un peu d'argent lors des fêtes religieuses, avait loué pour eux une chambre où ils se réunissaient pour leurs prières et où une chaire et une table de la Loi avaient été installées. Enfin, il leur procurait du pain azyme à la pâque. Il entretenait pour cela une correspondance régulière avec Venise. Les fêtes terminées, il gardait soigneusement le Livre et la Thora. C'est là un phénomène unique dans l'histoire juive - une communauté d'esclaves dont le président était un « gentil » à l'âme noble.
Peu à peu, les choses s'étaient organisées dans l'île. Quand des juifs se trouvaient parmi les captifs nouvellement emmenés, le « consul » leur avançait une petite somme d'argent et leur procurait une chambre dans le « bagne ». S'il disposait de suffisamment d'argent pour payer immédiatement la rançon de quelque captif juif, il le faisait sans en référer à Venise. Autrement, il écrivait aussitôt donnant tous les détails nécessaires.
Quand une cargaison entière de juifs était ramenée, il fallait écrire à toutes les communautés d'Italie ou d'Europe pour rassembler les fonds nécessaires. En 1705, onze communautés d'Italie et d'ailleurs participèrent à la libération d'un nombre important d'esclaves.
Un travail parallèle se poursuivait dans les divers ports méditerranéens, sous contrôle musulman ou chrétien. C'est seulement à Malte cependant qu'une organisation de cette envergure dut être constituée.
En une seule année, au milieu du 17e siècle, l'association vénitienne libéra rien moins que 45 personnes. Il n'est donc pas surprenant qu'en 1667 elle écrivît à la nouvelle communauté juive de Londres une lettre émouvante demandant sa collaboration régulière à une œuvre de libération qui, somme toute, concernait tous les juifs quelle que fût la ville où ils se trouvaient. 
Au 18e siècle, la prospérité et l'autorité de la Communauté juive de Venise commencèrent à décliner. Ce fut alors la communauté de Livourne qui prit sur elle la plus grande partie du travail à faire. Malheureusement, la situation ne s'était pas améliorée dans l'ensemble. En 1768, la communauté juive à Londres envoya à Livourne la somme de quatre-vingts livres sterling, afin de compléter la rançon d'environ quatorze prisonniers amenés captifs à Malte. Et il est certain que d'autres communautés participèrent également à la réunion des fonds nécessaires. En 1784, la communauté de Livourne fit l'achat d'une terre dans l'île qui servit de cimetière aux juifs. 
Mais l'ère des Chevaliers de Saint-Jean touchait à sa fin. En 1798, l'île fut occupée par les forces françaises et l'esclavage y fut supprimé. Il existe actuellement une petite communauté juive à Malte. Je crois que dans l'histoire juive, Malte restera comme le lieu où la charité juive s'exerça de la manière la plus efficace et comme un exemple de cette charité qui doit nous inspirer encore, à l'heure actuelle. 
Cecil Roth
Cecil Roth
historien
Cecil Roth est un historien britannique. Il étudie au Merton College à Oxford et y soutient sa thèse en 1924. Il y est chargé de cours entre 1939 et 1964. Il devient ensuite professeur invité à l'université Bar-Ilan en Israël (1964-1965) et à l'université de la ville de New York (1966-1969). Cecil Roth est éditeur de l'Encyclopaedia Judaica de 1965 à sa mort, en 1970.
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