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Le don dans la tradition juive. Entretien avec Raphaël Draï

Par Raphaël Draï | 04 février 2002

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Ce texte de Raphaël Draï est un extrait d’un dossier spécial de L’Arche de février 2002, intitulé "Que signifie donner aujourd’hui ?".

Est-ce que la générosité pure, l’acte gratuit, existent dans la perspective du judaïsme ?
La générosité, si elle peut être spontanée, est aussi pour beaucoup le résultat d’une éducation. Une éducation qui reconnaît en la générosité une valeur essentielle. Si, dans les grandes écoles de commerce, dans les facultés de droit, dans les IEP, l’on vous persuade que le seul comportement exemplaire, prototypique, est le pouvoir, la rétention, l’accumulation, etc., il va de soi que le don apparaîtra comme une idée aberrante. Il faut par ailleurs comprendre que beaucoup d’êtres ont peur de donner parce qu’eux-mêmes n’ont pas largement reçu : « Je n’ai rien reçu, donc je ne donne pas ». L’éthique juive conduit à cette hitapkhout, à ce renversement complet du destin : « Je donne parce que je n’ai pas reçu », afin que, justement, ce cercle vicieux cesse. Mais cette accession au don passe par un développement de tous les degrés de l’être. Il ne faut pas s’imaginer, une fois encore, que l’on puisse se départir facilement et spontanément des biens dits matériels. On n’y parvient qu’à la condition de développer en soi ses ressources spirituelles et intellectuelles. Parce que celles-là n’ont pas de limites. Parce qu’elles confèrent le sens de l’infini.
Pourquoi cette interrogation éthique s’inscrit-elle dans une contradiction permanente qui, expliquez-vous, risque de la dénaturer ? En quoi, en fait, y a-t-il contradiction ?
La contradiction sévit entre, d’une part, la représentation éthique du don, et, d’autre part, nos capacités réelles à donner ou à ne pas donner. Ce que j’ai tenu à mettre en évidence, c’est qu’une telle contradiction a été soulignée par la pensée juive depuis le début. Le don ne va pas de soi. Il correspond à un comportement intentionnel, complexe, qui reste à construire.
Pourquoi ?
Donner n’est pas naturel, pour trois raisons. Considérez d’abord l’origine de la gestuelle humaine, celle du bébé qu’on appelle le grasping. Que fait le nouveau-né lorsqu’on lui tend un doigt ? Il l’attrape et le serre ; or, entre attraper et refermer par pur réflexe, il n’y a qu’une distance infinitésimale. Ensuite, la réticence à donner provient de la peur d’être démuni. L’être humain vit dans un univers de la rareté. Vous observerez d’ailleurs que l’histoire biblique relate beaucoup de récits de famine. Enfin, la peur de donner, ou la réticence à le faire, s’explique par l’idée fixe du pouvoir et par l’obsession corrélative de l’accumulation. Un signe « égale » s’inscrit entre être et avoir. Si l’on ne donne pas, c’est pour avoir plus d’être, si je puis dire. Et l’on est ainsi entraîné dans un mouvement sans fin, puisque l’accumulation de richesses à notre propre niveau implique l’appauvrissement symétrique d’autrui. L’augmentation de mon patrimoine est alors gagée sur la pauvreté des autres. C’est à ce moment que s’enclenche un mécanisme extrêmement dangereux, que la tradition juive appelle… En y réfléchissant, le don est bien l’un des comportements humains les plus difficiles à mettre au point. Il faut le savoir pour être en mesure de dépasser cette difficulté « constitutionnelle ». Autrement, donner vraiment devient impossible.
Quelles différences entre tsedaka et ’hessed ?
En préambule, soulignons que ces deux dimensions ne s’excluent pas. La tsedaka détermine la répartition préétablie de nos ressources, selon la Loi. Elle implique une limite maximale. Le ’hessed qualifie l’aptitude à dépasser cette limite. La tsedaka concerne donc la redistribution légale des biens. En tant que telle, elle constitue un progrès dans des sociétés qui naturalisent la pauvreté, qui l’institutionnalisent. Mais elle reste en deçà du comportement de ’hessed, qui marque l’aboutissement de la générosité.
Vous écrivez que « la rétribution de la mitsva » est « l’occasion d’en accomplir une autre ». Comment cela s’applique-t-il au don ?
Parce que, finalement, donner libérerait d’une pesanteur indue. Prenons un exemple. Le Deutéronome énonce une règle de droit, paradoxale, qui interdit de récupérer la gerbe de blé que le moissonneur a oubliée. C’est un des rares cas où la Torah commande d’aller à l’encontre de la mémoire, où l’oubli est une véritable mitsva. Une interprétation psychanalytique éclaire cette règle. Quand on oublie quelque chose, c’est probablement qu’on n’y tenait pas. Dans ce cas, l’auteur de l’oubli en est délesté. Le geste du don comporterait un mouvement d’allégement de soi qui rend psychiquement disponible pour accomplir une autre mitsva. L’incidence sociale essentielle en est la suivante : lorsque nous donnons, autrui recouvre la faculté matérielle d’exercer à son tour ses propres responsabilités morales.
Y a-t-il une hiérarchisation dans les mitsvot ? Où se situe la tsedaka ?
Il n’y a pas de hiérarchie dans les mitsvot, pas plus qu’il n’y a de hiérarchie entre les différents membres du corps, ou entre le cœur, les artères, les veines, les vaisseaux capillaires. La tradition juive n’établit pas de discrimination entre « grande » mitsva et « petite » mitsva parce que chacune est ce chenal qui conduit le vivant là où il est nécessaire. L’accomplissement des mitsvot ne peut être motif à gloriole : « Je suis un grand homme parce que, moi, j’accomplis de “grandes” mitsvot ». Il y a là une sorte de reconnaissance de ce qu’est l’intelligence du vivant.
C’est-à-dire ?
L’intelligence du vivant requiert d’être capable de donner aide à quelqu’un qui en a besoin, au moment où il en a besoin, sans différer sa demande en lui expliquant que vous serez bientôt dans de meilleures conditions de fortune et qu’alors, et alors seulement, vous démontrerez l’ampleur de votre générosité. Il faut reconnaître en ce sens l’articulation d’une exigence, d’un besoin et d’une urgence.
Pourquoi le don divin est-il inhérent à la Création ?
C’est un des axiomes de la Kabbale. Dieu aurait parfaitement pu se passer de créer. Interrogation étonnante : pourquoi Dieu a-t-il créé le Monde ? Parce qu’il avait envie de donner. Il faut voir là sans doute une construction intellectuelle qui érige le don en valeur suprême, en le rapportant à Dieu lui-même. Dieu qui a tout, qui pourrait se passer de tout, Dieu donne. La « contrepartie » de ce don exceptionnel n’est autre que le mot Hallelouïa [« Louez Dieu »] ! Pour le prononcer, il faut se trouver dans une joie profonde. Cet état de joie, au sens bergsonien du terme, ne peut naître que d’un mouvement de création perpétuée. Dans la tradition juive, le Hallel se récite dans les grandes circonstances, celles où l’on affirme que l’Humanité est libérée d’un certain nombre de pesanteurs, de servitudes réputées irréversibles.
Je reprends les paroles que vous venez de prononcer : « Dieu a envie de donner ». Le terme « envie » que vous employez n’enlève-t-il pas de fait une parcelle de la gratuité du don ? Peut-être que rien n’est complètement gratuit ? L’interrogation est ouverte. Quel besoin Dieu avait-il de donner ? Sans faire la « psychanalyse » de Dieu, c’est peut-être, en effet, à partir de cette divine référence, une manière pédagogique d’ériger le don en référence ultime. Dieu est le donateur de la Loi, personne n’est autorisé à la détenir par-devers lui, personne ne doit la rendre onéreuse. De la même façon, si Dieu a donné la Vie, personne n’a le droit de la marchander, d’en opérer la rétention ni d’en réclamer un prix indu.
La différence entre le don et le prêt, c’est le retour qu’on attend du prêt ?
Il y a une grande différence entre ces deux notions. Le prêt est un service que l’on consent, mais qui entraîne sa propre rétribution. Lorsque l’on prête un objet, on sait par avance que cet objet sera rendu. D’ailleurs, le rendre est une obligation juridiquement sanctionnée. Dans ce cas, il y a un équilibre des prestations. Le propre du don est, comme vous l’avez entendu, l’absence de contrepartie, ce qui ne signifie pas qu’il soit sans incidence puisqu’il permet à la vie de continuer. De très nombreux exemples l’illustrent dans le Talmud, notamment avec le fameux Rabbi Nahoum de Gamzo, à propos de situations dramatiques engendrées par l’hésitation à donner — parce que l’on a sous-estimé la gravité de la détresse de la personne qui demande, alors qu’elle exprimait son ultime parole, dans un ultime instant. Devant le danger d’une noyade, il n’y a pas à tergiverser, il faut donner.
Dans nos sociétés, cette demande est permanente. Grave question dans des sociétés frappées par la précarité et le chômage, où chacun est sans cesse confronté à des êtres socialement dénudés qui mendient un don. Par peur d’être abusé, par lassitude, aussi par crispation personnelle, qui n’a jamais été conduit à s’interroger : « Est-ce légitime de donner dans ces conditions-là ? ». Dans la Torah figure l’expression « patoa’h tifta’h » (littéralement : ouvrir tu ouvriras), pour marquer fortement l’obligation irréfragable du don. Dès lors que s’est installé un système dans lequel il est prévisible que l’on soit confronté à cette nécessité de donner, il faut s’y préparer, ne pas s’y dérober.
Quand on apprend aux enfants à mettre régulièrement une pièce dans la boîte de tsedaka, ne risque-t-on pas de banaliser le don ?
Non. Ce geste est surtout destiné à éviter de banaliser la prière. La tradition juive lie la prière en paroles à la prière en actes. Cha’hrit, Min’ha et Arbit sont des prières destinées à nous ouvrir socialement. Dans la Amida, la première parole est une demande d’ouverture des lèvres. Mais il ne suffit pas d’ouvrir la bouche, il faut aussi ouvrir la main. Ces deux gestes sont associés dans les prières juives.
La dimension économique et juridique du don s’exprime-t-elle dans la Halakha [la loi] ? Bien sûr. Il faut trouver la juste mesure entre le soutien d’autrui et la non-dépossession de soi qui vous transformerait en pauvre à votre tour. La description des modalités de la juste répartition et du ’hessed (voir, dans le Talmud, le traité Nezikin) implique, au-delà des règles juridiques, la capacité de développer en soi une richesse d’un autre ordre que matériel, qui permette justement de s’en départir sans se sentir menacé dans la source et l’assise de son être. C’est la définition même du ’hessed : être capable de dire « Ce qui est à toi est à toi et ce qui est à moi est à toi ».
Vous écrivez : « L’occultation du divin résulte d’abord de l’écran, de l’empêchement, interposé entre soi et la source de la Présence divine (la Shekhina) ».
Tel est l’enseignement constant de la tradition juive, notamment de Rabbi Nahman de Bratslav et aussi des grands rabbins du Constantinois. Vous connaissez la thématique actuelle concernant l’éclipse de Dieu, la mort de Dieu. Dans la tradition juive, la disparition du Divin est strictement corrélative de la disparition de l’Humain. La Présence divine est aussi un don de Dieu, mais que l’Homme peut empêcher de se diffuser. Le Hafetz Haïm [Israël Meïr Hacohen, 1838-1933] l’explique. La gravité du comportement de l’avare tient au fait qu’il empêche la diffusion du don divin, qu’il rend imprésent Dieu à ceux qui le sollicitent. À l’inverse, la générosité ouvre tellement l’angle psychologique et l’angle affectif de l’esprit humain que l’intuition du Divin devient possible. Recevoir conduit à s’interroger sur la source du don. La pensée s’ouvre à l’infini. Au contraire, moins l’on donne, moins l’on reçoit. L’infini se fait négatif.
Quels sont les liens entre la tsedaka et le jeûne ?
Dans la tradition juive, tsom et taânit (jeûne) ne se réduisent pas à un exercice masochiste de macération ou de souffrance. Ils constituent la mise à l’épreuve, la fixation de limites à nos besoins. La liturgie juive, qui atteste de l’histoire du peuple juif, établit des périodes dans l’année au cours desquelles l’impulsion matérielle et les pulsions plus intenses encore doivent se heurter à notre propre volonté. Afin également de réfléchir à ce qu’autrui ressent par cette même privation et de s’ouvrir à la question : « Que se passerait-il si j’étais obligé de jeûner tous les jours, de me priver d’un certain nombre d’avantages ou de commodités que je juge prioritaires ? ». Le jeûne est un exercice de propédeutique morale.
Le shabbat ne prépare-t-il pas au don en nous distanciant du matériel ?
Oui. Le jeûne n’est assigné que parce que l’observance du shabbat se révèle insuffisante. Le shabbat, ce n’est d’ailleurs pas une privation quelconque mais de nouveau l’apprentissage du don. C’est pourquoi les Dix Paroles du Sinaï déclarent : « Six jours tu travailleras, tu accompliras toute ton œuvre (…) et le septième jour tu accompliras le shabbat ». Le Grand rabbin Bernheim a raison de souligner que le shabbat risque de perdre son sens si l'on n'a pas œuvré les six jours précédents. C'est pendant ces six jours-là que se constitue le fonds, le keren, qui sera ensuite distribué à soi-même, et aux autres, vers« le monde qui vient» qui sera complètement shabbat.  
Explication de texte. Vous écrivez : « Le înoui (la souffrance) assigne une limite aux pulsions du corps, en ce que celles-ci déterminent ensuite les dispositions de l'esprit, dans la constitution duquel il faut rappeler que le degré du nefesh, que l'on traduit parfois par principe de vie, détermine en fait la volonté et l'intentionnalité, le ratson. »
Là, je reprends un enseignement de Rabbi Nahman de Bratslav qui veut nous faire comprendre la gravité de céder aux pulsions.
La pulsion n’est pas seulement un phénomène d’énergétique inconsciente. Elle déterminerait aussi nos modes de pensée. Lorsque nous sommes « pulsionnés », si je puis dire, à ne pas donner, à retenir par-devers nous un certain nombre de biens, nous ne tardons pas à construire la rationalisation intellectuelle, j’allais dire la théorie économique, justifiant cette carence de la générosité, cette impotence au ’hessed. Nous « théorisons » cette incapacité à donner, et nous l’inculquons. Comme à Sodome, nous affirmerions enfin que donner est un crime. Lorsqu'une société ne parvient plus à remédier aux maux qu'elle engendre, c'est parce qu'elle n'en a plus la volonté vitale.
Que s’est-il passé à Sodome ?
Dans le Traité Sanhedrin du Talmud, après la discussion de toutes les règles concernant l’organisation judiciaire, sont décrites les civilisations qui se sont autodétruites faute d’avoir su respecter ces règles de fond et de procédure. Parmi elles, Sodome. Cette forme de « civilisation » bénéficiait de ressources naturelles presque illimitées. Le Talmud dit « que le pain y poussait tout cuit ». Elle était pourtant viciée par l’incapacité absolue de partager. Au lieu que cet endroit du monde, d’une inépuisable richesse, fût considéré comme patrimoine de l’Humanité, les Sodomites décidèrent de l’enclore. Donner assistance à un pauvre, donner tout simplement, était un crime qui exposait à la peine de mort. Il en résulta un état de décomposition sociale tellement fort qu’il était comparable à un état de décomposition organique, dégageant d’insupportables puanteurs. À tel point, précise le Zohar, que même les oiseaux ne voulaient plus passer au-dessus de Sodome. C’est ainsi que cette cité s’est autodétruite.
Ne suffirait-il pas d’un organisme dont le rôle serait de répartir des ressources à ceux qui en font la demande ?
Les comportements personnels dictés par l’urgence et les grands équilibres institutionnels ou économiques ne s’excluent pas. La tsedaka et le ’hessed ne se repoussent pas mutuellement. La précarité ne saurait être naturalisée, ni la mendicité considérée comme un état « normal » et gérable. Les pauvres ne sont pas destinés à faire le salut des riches. Pour reprendre ce grand débat qui affecte la théologie et l’économie politique, lorsque dans le monde la mendicité se multiplie, comme c’est le cas actuellement, et que la précarité se propage, il faut faire face simultanément à deux obligations, répondre à deux exigences : réagir à l’urgence mais s’interroger sur la nature de la société qui produit ce type de maux. La mendicité n’est pas un état « naturel ». C’est pourquoi la Torah y insiste, dans le verset du Deutéronome : « Il ne doit pas y avoir de pauvre en toi ». D’aucune manière, le spectacle de la pauvreté ne doit être ordinaire. La pauvreté est un scandale absolu auquel il faut remédier sans délai.
Quelle différence entre le « donner » juif, la tsedaka, et le « donner » chrétien ?
Je ne vois pas de différence antagonique, dans la mesure où le « donner » chrétien est juif à l’origine. Autant sur des questions de théologie, ou des problèmes de mystique, Juifs et chrétiens peuvent diverger, autant, par rapport aux exigences dont nous venons de parler, ils se rejoignent de plus en plus.
On peut donc mettre en parallèle tsedaka et charité ?
Pas du tout. La tsedaka met en œuvre la justice, la charité étant toujours une mesure palliative. Un des grands débats à l’intérieur de l’Église catholique, durant ce siècle, a tendu à récuser la charité comme comportement « habituel ». Avec la nécessité de rétablir le primat de la justice — c’est tout le sens des idéaux de la Révolution française —, la charité est redéfinie d’une autre manière, de telle sorte qu’elle corresponde peu ou prou à la notion de ’hessed. Mais il faut tenir compte de contextes religieux, culturels et je dirais presque émotionnels, qu’on ne peut pas amalgamer. Il faut comprendre à quoi correspond l’exercice de la charité, très profondément, pour une âme chrétienne. Je dois rappeler, par ailleurs, que la notion de tsedaka, au sens le plus originellement juif, se retrouve dans le droit musulman et dans la prière musulmane. Il y a là un pontage, si vous me passez cette expression, très solide et très droit.
Est-ce qu’on peut dire que la tsedaka, le don, doit être la caractéristique des Juifs ? Il faut bien comprendre ce qu’entendent nos Hakhamim [Sages] quand ils affirment : « La tsedaka sauve de la mort ». Lorsque la tsedaka devient impossible, c’est toute la société qui se dissout. Quand un nombre croissant d’individus n’ont plus les moyens d’assumer leur vie immédiate, ils ne sont pas, non plus, des consommateurs. Ne pouvant consommer, toute la machine s’enraye. Il faut alors l’anaboliser artificiellement, peut-être la doper mortellement. C’est un des graves problèmes de l’économie contemporaine : dopage boursier, dopage informatique, anabolisants médiatiques. Mais le ’hessed, lui, donne la vie. La tsedaka empêche seulement la société de mourir. En tant que telle, c’est une valeur de survie. Les sociétés romaine et grecque, dans lesquelles les pauvres constituaient des clientèles aux marges de l’esclavage, que les évergètes entretenaient par le pain, le cirque, les distributions d’huile, en contrepartie de leur passivité, n’étaient pas des sociétés de tsedaka — Paul Veyne l’a très bien relevé dans son grand livre Le Pain et le Cirque. La tsedaka, c’est reconnaître le droit du pauvre, pas un droit qui le maintienne dans sa situation de pauvreté mais un droit qui l’en sorte. La tsedaka conduit à donner un emploi à qui a perdu les ressources de sa vie, de telle manière qu’il retrouve sa station droite, celle que requiert la prière (les Juifs ne prient pas prosternés, ils prient debout). Mais le ’hessed ne se limite pas à endiguer la mort. Il donne la vie, au-delà de la tsedaka, une fois qu’elle a été réalisée, lifnim michourat hadin, au-delà de la stricte justice. L’être qui reçoit votre geste comprend que celui-ci trouve son origine et sa cause bien plus haut. Il acquiert l’intuition du Créateur. Et, à partir de ce moment, la Présence divine devient ou redevient une expérience immédiate. La Présence divine n’est pas une illumination mystique, dans le sens ésotérique du terme. Elle est une expérience très profondément socio-économique. La Présence divine se déduit de la générosité humaine qui en est l’attestation immédiate.
PROPOS RECUEILLIS PAR PAULE-HENRIETTE LÉVY
Raphaël Draï
Raphaël Draï
professeur de droit
Raphaël Draï est professeur émérite de Science politique et de droit. Ancien doyen de l'Université d'Amiens mais aussi membre de l'Ecole doctorale en Recherches psychanalytiques et psychopathologiques, il est l'un des premiers chercheurs à avoir introduit la psychanalyse en Sciences politiques. Raphaël Draï est également profondément engagé dans le dialogue inter-religieux.Il a écrit de nombreux ouvrages de pensée juive. Originaire de Constantine, il a publié en 2008 un ouvrage sur l'histoire des juifs d'Algérie.
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