A. Mercier - Journaliste - N. Weill - journaliste
La question de l'être, déjà dans Etre et temps, fonctionne comme une bannière nazie. Heidegger n'aura cherché à imposer sa "philosophie" aux nazis que dans la mesure où il y avait une correspondance entre les deux. Et cela se trame déjà dans la mise en avant de la scène de la question de l'être. La rencontre entre le nazisme et Heidegger n'est pas fortuite et ne relève pas d'un opportunisme. Elle se noue au coeur de la question de l'être. Faire de cette question, et dont l'oubli serait porteur de catastrophes, une condition de la philosophie elle-même ne peut être acceptée par l'ensemble de la "communauté" des philosophes. Ce n'est pas la science ou la technique en elles-mêmes qu'au nom de l'être Heidegger relègue hors de la pensée mais en tant qu'elles sont considérées comme incarnant la menace démocratique. L'être, en sa vérité, désigne chez Heidegger la légitimité de droit de la prétention d'un "peuple de l'être" à exercer une souveraineté absolue, esclavagisme et extermination compris. Métaphoriquement l'être c'est cette Egypte par rapport à laquelle les juifs ont commis initialement le crime d'en être sortis. Mais ils demeurent à jamais esclaves et voués à l'étant. La philosophie ne peut reprendre son souffle qu'en déconstruisant la question de l'être. Ce n'est jamais, chez Heidegger, une pure question de philosophie ou d'ontologie. Le discours heideggérien est une "onto-réthorique" de la souveraineté absolue d'un "peuple de l'être". Et celui-ci est un "peuple maître". Reprendre la question de l'être sans autre forme de "procès" - de déconstruction - c'est se mettre en situation d'être instrumentalisés en vue d'une "maîtrise" au sens le plus criminel.
Antoine Mercier, ancien journaliste à la rédaction de France Culture et présentateur du journal de 12h30, mène régulièrement des séries d'entretiens autour de la crise et de l'actualité avec des intellectuels.
Nicolas Weill est journaliste au Monde, essayiste et traducteur. Il a collaboré au Monde de la Révolution française de 1988 à 1990 et à Courrier International de 1991 à 1995. Journaliste au Monde depuis 1995, il collabore régulièrement au Monde des livres et à Critique. Il est aussi l'auteur d'essais historiques sur l'antisémitisme en France.
Aller-Retour, une vision vectorielle 01 octobre 10:06, par Doina Raluca Paul
L'armee du peuple de l'etre est passee deux fois sur le territoire roumain, mais les sens ont ete contraires : aller et retour. Ecaterina, ma grand-mere maternelle, les a vus les deux fois : " A l'aller, ils etaient tous des Sigfrieds, les conquerants, les champions, les maîtres, jeunes, beaux, parfaits, grands, blonds, longues jambes et les yeux bleus SUPERHOMMES, quoi ! Ils disaient qu'ils etaient nos allies, mais ils ne nous voyaient meme pas nous, les Roumains. Ils se lavaient tout le temps, avec du savon allemand, ils se rasaient tous les jours, ils mangeaient du pain blanc et du chocolat qu'on leur envoyait de l'Allemagne. Je les ai pu voir de pres, au bord de la riviere, ou j'etais avec mes soeurs laver les tapis de la maison. Les tapis sechaient deja au soleil sur la greve et nous profitions pour une bonne baignade, tellement insoucientes et prises par nos jeux, qu'on ne s'etaient meme pas rendues compte de leur arrivee... Comme ils semblaient ne pas nous voir, nous n'avons plus eu peur et nous les avons pu regarder de pres, sans peur, comme on regarde le lion au zoo. " /// "Au Retour, dans l'autre sens, ce n'etait pas la meme armee. Ils etaient vieux ! Comment donc?! C'etait 3 ans plus tard, mais pour cette armee allemande c'etait comme si plus de 30 ans etaient passes depuis 1941. Ils etaient sales, affames, leurs uniformes rompues, dans un etat epouvantable. On disait qu'ils n'etaient plus nos allies, mais nos ennemis, pourtant ils faisaient pitie quand ils dechiraient leurs uniformes et demandaient aux paysans des vetements... Ils etaient les sacrifies, leur mission etant de mourir en essayant d'arreter ou, du moins, de tarder le tsunami de l'Armee Rouge. Ils savaient qu'ils etaient armee de sacrifice... De pres, je n'en ai vu un, seulement un. La chaussee avec le convois des refugies avait ete mitraillee par deux avions allemands et ma famille errait sous les bombes, sous les obus, parmi les explosions. Une grande famille, Ioan Ungureanu, potier, sa femme, leurs 6 filles, les gendres, les petits-enfants, une trentaine personnes avec des bebes, une tribue entre les deux fronts en pleine nuit, en plein combat. Tout a coup, "Halt ! ". Un Allemand les menacait de son arme ! Vieux, avec des lunettes. Papa, qui parlait un peu l'allemand, lui a repondu que nous etions des refugies. Il a repondu : "Oh, nom de Dieu ! Et vous allez ou?!" Alors papa a repondu : "A Berlin ! ". L'Allemand ne pouvait pas croire ses oreilles. En pleine nuit, l'enfer tout autour, les Russes qui arrivaient... Et vous allez ou?! Il criait l'Allemand, il ne pouvait pas croire. "A Berlin ! ". Il a laisse l'arme, il a pris une fourche avec laquelle il a souleve les fils, car par terre il y avait beaucoup de fils. "Passez ! Passez ! Vite ! Vite !... "Et la famille est passee sous les fils que l'Allemand tenait avec la fourche... Le lendemain les Russes etaient partout. " Les temoignages d'Ecaterina montre que Heidegger aurait du avoir une vision vectorielle de l'etre, l'aller et le retour representant, ontologiqument, deux configurations differentes de l'etant.